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mise en page par Génie

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Mets tes Nike pour aller courir Cendrillon

J’avais demandé à un mec s’il ne l’avait pas vue passer. Une fille brune d’un mètre soixante environ, sans doute ivre, et traversant pieds nus la résidence en courant. « Une genre Lolita ? » il a fait. Il l’avait vue partir par là, elle hurlait apparemment. Il n’y avait pas de doute, c’était bien elle. L’information m’a coûté une clope. Elle pourra pas dire que je ne l’aime pas…

 

Je l’ai trouvée assise par terre, devant une maison aux volets clos, adossée au mur. Un simple lampadaire l’éclairait, il n’y avait pas de lune. Elle avait le cul posé là, sur des gravillons mouillés. Elle semblait inspecter le dessous de ses pieds, pleurant des yeux, essuyant du doigt le sang qui en gouttait. Après elle léchait son doigt. Elle a eu un grand sourire en me voyant arriver vers elle, un regard immense. Puis elle redoubla ses sanglots.

_ Tu as pas froid là comme ça ? j’ai fait.

_ Je sais pas. Je me suis coupée, ça saigne… Regarde.

_ Oui je vois ça.

_ Ben ça saigne.

            Je lui ai filé mon vieux kleenex, j’avais que ça, c’était à prendre ou à laisser, mais elle fut ravie. Elle l’a collé sur la plante du pied coupé. Accroupi contre elle, la regardant tenir sa cheville, j’ai caressé ses épaules. Elle a tourné sa tête pour m’embrasser. « Merci » a-t-elle dit. Il y avait au moins cela de positif, il ne fallait pas grand-chose pour qu’elle soit ravie, un kleenex suffisait. Je lui ai passé mon pull, son soutien gorge était sympa, le fabriquant avait mis le paquet sur la dentelle, seulement avec juste ça sur le dos, elle risquait vite de voir ses pointes durcir autant que deux petits glaçons. Elle s’est mise dans mes bras, je ne l’avais jamais portée jusque là, elle comme n’importe quelle autre fille d’ailleurs. Je l’ai soulevée. Elle n’était pas lourde du tout. Je lui en ai fait la remarque. J’ai ajouté qu’elle allait enfin pouvoir balancer ses conneries de magasines de régimes.

_ J’avais plus faim, elle a murmuré. Puis c’était ennuyeux de rester assis.

_ Alors à ce moment là tu t’es dite « Et si j’allais faire un peu de sort ».

_ Oui ! De la course précisément.

_ Mais tu as pas trouvé tes chaussures…

_ Oui !!! Je savais plus où je les avais rangée… Et j’ai pensé que c’est pas par les pieds qu’on attrape le mal.

_ Tu es une sacrée sportive dis donc !

_ Oui !!! Tu as vu hein… Touche donc mes mollets… C’est du fer ! Qu’est-ce que je ne ferais pas pour te plaire tu as vu ?

            Elle se sert fort autour de mon cou. Milite pour un baiser.

_ Je savais que tu viendrais me chercher, dit-elle.

_ Ben tu as gagné.

_ Oui.

            Nous passons dans le salon. Il fait déjà meilleur. On nous fait : « Ah bah voilà tu l’as retrouvée, vous vous êtes retrouvez ». Une fille dit un truc du genre « qu’est-ce qu’ils sont mignon ! ». Je réponds rien, ou un « comme vous voyez ! », ce qui est fondamentalement pareil. Je l’emmène dans la salle de bain et l’assoie sur le rebord de la baignoire. Je reviens avec du coton et du mercurochrome, elle joue à balancer ses pieds et finit, en face d’elle, par déglinguer le tabouret en l’envoyant tomber à terre. Vous parlez d’une calamité…

_ J’en rate pas une tu as vu !!!

            Elle est contente d’elle.

_ Tu as manqué d’affection dans ton enfance ? je lui demande.

            Elle dodeline de la tête.

_ Ouais… Immensément !!! Mais maintenant tu es là ! Et je suis ta princesse hein ?

            Elle se penche pour m’embrasser pendant que je soigne son pied qui saigne depuis le talon.

_ Ouais, t’es ma princesse, dis-je. Mais la prochaine fois mets des Nike pour aller courir Cendrillon (et prend ton téléphone portable ça m’évitera de te chercher partout).

 

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Ecrit par , le Jeudi 2 Octobre 2003, 15:14 dans la rubrique "Nouvelles".