Paul-Henri est toujours dans la ville, il la arpente, comme tant d’autres héros méconnus que nous croisons chaque jour sans nous en apercevoir. Quelques fois certaines personnes savent reconnaître en lui un être à part, ils le croient extérieur au genre humain. Alors ils viennent à lui, lui demande un autographe. Tantôt il est pris pour Johnny Hallyday, parfois pour George Brassens alors qu’il est simplement assis sur un banc public, ou encore pour l’Inspecteur Edouard alors qu’il mange paisiblement un Maxi-Kébab. Mais toujours ceux sont des erreurs, car Paul-Henri appartient bel et bien au genre humain. Il est un héros simple, comme vous est moi, au même titre que Chimène Badi est une chanteuse comme tous les gens qui prennent des douches de temps en temps. Par hasard aujourd’hui Paul-Henri a appris la date que nous sommes. Il s’est souvenu du rendez-vous. Il a hésité puis a décidé de s’y rendre. Le voilà en chemin. Nous le suivons dans les couloirs du métro où il fait chaud.
Enfin il arrive à la place où avec ses anciens amis dix ans plus tôt ils se sont donné rendez-vous dix ans plus tard, c'est-à-dire aujourd’hui même. Il fait beau, il fait chaud, les filles sentent le sable chaud, et les hommes ne portent pas de jupes et c’est mieux, cela permet de les reconnaître pense Paul-Henri. Personne n’est encore là, cela ne ressemble pas à la chanson de Patrick Bruel. D’ailleurs Paul-Henri ne s’assoie pas Place des Grands Hommes pour les attendre. Non, il s’assoit Place du Marché. Car c’est là qu’ils ont rendez-vous au cœur de la ville.
Reconnaitra-t-il ses anciens amis ? Oui, il en reconnait quelques uns qui arrivent. Ils se reconnaissent entre eux. Mais aucun ne reconnait Paul-Henri.
Après tout le monde se fait des accolades. Puis on hésite où on va aller boire. Il y en a un, Romain, qui n’aime pas les terrasses des cafés, il ne met pas trois plombe pour apprendre à tous qu’il est écologiste et n’aime pas la pollution, donc pas les terrasses des cafés. A l’intérieur de la brasserie il demande sans plaisanter au garçon si le café provient du commerce équitable. Le garçon ne sait pas répondre. Romain commande un cognac. Il paraît que c’est plus équitable.
Puis vient le tour de Clément de se distinguer, il profite que cette pile électrique de Romain se taise enfin pour se lancer. « Alors les gars vous devenez quoi ? Moi je suis devenu un chef important dans une entreprise qui fabrique des bombes, je suis super bien payé, j’ai une BMW et ma femme ne partira jamais car c’est moi ai le fric et que mes enfants m’adorent car ceux sont de petits crétins qu’on achète facilement avec des cadeaux… ».
_ Tu as créé une section syndicale dans ton entreprise ? demande Paul. Tu ne milite plus contre toutes les guerres de ce monde ?
Paul-Henri est déçu que Paul ai été plus rapide que lui pour poser cette question.
_ Nous ne sommes plus à la fac ! répond fièrement Clément. Nous ne sommes plus des enfants voyons ! Tout cela c’était sympa mais c’était un moment de notre vie ! Quant aux guerres c’est en fabriquant des armes qu’on les évite, pas en fabriquant des guimauves ! Les hommes préhistoriques étaient à la merci de leur milieu et des prédateurs avant qu’ils ne fabriquent des armes, ils vivaient dans la peur… Ils ont pu connaître la paix lorsqu’ils ont fabriqué des lances et ont appris à se défendre. L’existence humaine est ce qu’il y a de plus beau, elle mérite d’être défendue ! Je défends l’humanité !
Romain sirotait son Cognac silencieux. Les autres furent étonnés de son silence. « Ben quoi fit-il, moi je ne suis pas contre le nucléaire civile ! » finit-il par faire.
_ Ben toi t’es resté une belle lopette ! observa Gérard qui à son tour pris la parole en posant ses coudes sur la table et laissant ainsi briller la Rolex à son poignet.
_ Tu deviens quoi toi Gérard ?
_ Je vous ai écouté et bien je suis surpris mes amis… Surpris de voir comme vous avez changé. Romain croit qu’on va changer le monde avec du café équitable et en ayant peur pour ses poumons. Clément a décidé d’être l’inverse de ce qu’il prétendait vouloir être… Mais cela dit rien d’étonnant, ce n’est pas un homme de conviction. Il a suivi les vents dominant tout sa vie, son seul objectif était de se faire remarquer et de récupéré les outils mis à sa disposition afin d’accroitre sa gloire personnelle et sauter la chef des pom-pom girl…
Clément éclata de rire :
_ Nous attendons tous de savoir ce qu’est devenu le Grand Gérard ! Tu nous fais languir mon vieux !
_ Eh bien je suis devenu journaliste comme je le désirais ! J’ai suivi mes rêves, j’écris dans un journal de gauche pour changer le monde !
Clément et Romain explosèrent de rire : « Allons ne fais pas le modeste, tu écris aussi à Télérama ! Nous le savons tous ! ».
_ Eh bien oui ! fit Gérard en bombant le torse. Je suis resté un militant.
_ Tu as surtout rejoint la caste des privilégiés qu’a érigée la gauche après 1981 oui ! Tu ne veux plus changer le monde, tu voulais simplement que le monde t’accepte et te file quelques manettes pour le manœuvrer ! Maintenant tu écris dans des journaux à vocation de défendre les acquis de la bourgeoisie de gauche ! explosa Pierre.
Paul-Henri écoutait tout cela avec beaucoup d’attention. Il avait toujours su qui étaient Clément ou Gérard, il n’avait jamais été dupe de leurs idéaux. C’était des gauchistes de circonstance. Ils étaient de gauche comme on trouve merveilleux le Biactol à l’adolescence. Tous les deux appartenaient à cette grande catégorie de l’humanité occidentale des auto-satisfaits. Déjà au lycée ils étaient déjà toujours satisfaits de tout si on grattait derrière leurs petites révoltes. Ils étaient satisfaits d’eux, de leur vie, de leurs conquêtes féminines, de leurs vêtements, puis plus tard de leurs voitures. Qu’avaient-ils à changer puisque tout était pour eux une source d’auto-satisfaction ?
« Et toi Paul-Henri qu’est-ce que tu es devenu ? » finit par demander l’un des compères en se rappelant soudainement de sa présence. Tous tournèrent les yeux vers la chaise que Paul-Henri avait laissée vide après avoir descendu à la hâte sa petite mousse. Paul-Henri était parti. Il courait maintenant très vite sur les trottoirs de la ville, loin, là où ses jambes pourraient l’emmener.
Pour ceux qui le voient passer il semble voler. « Mais où va donc ce garçon si pressé ? Se rend-il en retard à son travail ? » se demandent les passant de la ville que Paul-Henri manque de renverser. Non, Paul-Henri ne va à aucun rendez-vous, sinon à celui qu’il a avec l’aventure. Car en effet, Paul-Henri court vers de nouvelles aventures, et il a bien raison.
à 13:14