Te regretter...
Passer la serpillière, vider les cendriers, manger le fond de biscottes, passer les pieds nus et mouillés sur le tapis. Recommencer. Faire la vaisselle, allumer une clope, passer un coup de fil, descendre les poubelles, marcher en équilibre sur le rebord du trottoir. Suivre la liste dans l’ordre ou dans le désordre. Rayer. Et te regretter Jessica.
Essuyer les meubles avec le chiffon à poussière, punaiser un poster, mettre les chaises pieds en l’air sur la table, passer un compact disque, se descendre une bière tout seul (dans le noir), afficher de la bonne humeur quand même face aux gens. Parce que c’est dur aussi pour les autres, que ce monde est déprimant, qu’il faut souvent se forcer pour ne pas fumer un joint et trouver tout de même des motifs de rigoler. Et te remercier quand même Sarah.
Faire et refaire les mêmes choses dans un autre ordre.
Recharger le téléphone, essuyer les miettes sur la table, appuyer son visage à la vitre pour regarder dans la rue, mettre la main sur ce foutu briquet, nettoyer les carreaux des fenêtres, marcher sur les mains, saisir en extension un pot de confiture neuf en haut de l’étagère. Raconter sa vie au téléphone. Dire des trucs. En inventer. Bons baisers à Cynthia.
Faire le lit, ouvrir les volets, croquer dans la vie à pleines dents, avaler des croissants en sachet puis un café avec un sucre et demi, sourire à celle qui est belle dans la rue ou simplement qui se réveille. L’envie d’aimer encore. Et se rappeler de toi Aurore.
Marcher un chewing-gum, lasser les chaussures, régler la température, ramasser le savon au fond de la douche, hurler les chansons qui passent à la radio, déprimer en lisant le journal. Se remémorer quelque bon moment quand même. Danser dans un endroit où il y a du bruit et des gens méchants. Et mordre ta langue Sandra encore une fois.
Foutre du déodorant, avaler des pastilles pour la gorge, prendre des chaussettes dans le tiroir, rire pour un rien, rouler un joint, dire des blagues quand il n’y a personne. Attendre la fin allongé sur un canapé. Penser à toi Hélène.
S’ennuyer, s’ennuyer et s’ennuyer encore. Ne rien trouver à faire d’intéressant. Penser à des gens dont on a perdu le visage. En regretter quelques-uns uns. Tenter d’en oublier d’autres. Fermer les télés et ne plus vouloir voir s’agiter les images. Se rappeler un corps sans retrouver à qui il appartient. Se toucher la bite. Prendre un stylo et écrire n’importe quoi. Appeler Hélène qui ne répond plus. Payer la facture téléphonique et le psy. Broyer une calculatrice et un téléphone portable chez soit et sentir des millions de regards réprobateurs. Manger et ne pas être content. Ne plus vouloir voir des gens et s’acheter des chupa chups en ne voulant pas les partager avec les mains sales qui se tendent. Se sentir égoïste. Merdique. Nocif aux autres et à soit même. Incapable de sentiments d’amour. Et se reservir un verre à ta santé Laura.
Vouloir juste pour soit, sans savoir quoi, et ne pas souhaiter en parler. S’allonger sur le tapis en écoutant de la musique. Ne rien dire. Bluffer. Mentir. Ou ne pas dire la vérité. Ou encore simuler. Ecouter d’une oreille, ou d’une autre, ou pas du tout. Se faire tirer l’oreille, écouter, puis s’en aller.
Faire des efforts, des efforts encore. Compter les points. Tous les jours. Appeler quelqu'un et se tromper de prénom. Dire Hélène à la place de Sarah ou Jessica ou Delphine ou Caroline ou Salope ou Mon Amour. Enfin se planter sur toute la ligne quoi. Et s’en rendre compte surtout. Mais seulement une fois la ligne franchie.
20 février 2000
à 09:46