Elle ramasse les miettes des croissants en les collants au bout de son index. Elle les porte à sa bouche machinalement. Rapidement, car elle s’empresse aussitôt de butiner de nouveau la nappe. Elle hoche la tête pour répondre à sa mère qui sort de la cuisine et nous laisse en tête à tête. Laurie me tend son doigt. Je le laisse entrer dans ma bouche. Je le suce, j’aime aussi les miettes de croissant. Elle se lève prendre la baguette derrière elle. Elle rapporte le beurre. « Tu te rappelles de ce que tu m’as proposé hier ? » je lui demande. Sans doute que j’aurai eu du mal à lui demander dans les yeux. Mais elle est de dos. Cherchant un couteau dans un tiroir.
_ Tu parles de quoi ? s’amuse-t-elle en se rasseyant. Je t’ai proposé plein de choses…
_ Il y en avait une plus importante que les autres…
_ Je ne vois pas…
_ Moi si. J’en ai très envi tu sais…
_ Vivre ensemble ?
_ … si tu en as toujours envi.
Elle sourit en mettant sa tête dans ses mains. Du bout des doigts elle se frotte le coin des yeux. Elle se frotte le bout du nez, comme cela lui arrive parfois lorsqu’elle est troublée.
_ Tu me demandais hier ma vision du bonheur, dis-je. Je crois que c’est lorsque je suis avec toi…
Je lui avais pris le beurre des mains. En parlant je coupais le pain. Comme si je cherchais une contenance, et afin peut-être de ne pas cacher moi aussi mon nez dans ma main.
_ Tu me beurreras mes tartines ? rigole-t-elle les joues toujours aussi rouges.
Je me souviens alors de Laurie lorsque je l’ai connue. De cette fille qui ne laissait transparaître aucune émotion. Tout le monde s’accordait pour dire qu’elle était comme un bloc de granite, toujours un bon mot au bout de la langue, pleine d’humour mais dont il était impossible de savoir exactement ce qu’elle pensait ou ressentait.
Elle me regarde dessiner avec le beurre sur la mie blanche du pain, le couteau à la main, je m’applique, je veux une tartine œuvre d’art sinon rien. Réussir une tartine est dans mes cordes. Il y a des choses plus difficiles, on ne peut pas être sûr de tout, parfois on avance sans trop savoir. Il n’y a pas de recette que je connaisse pour réussir une histoire d’amour. Mais pour ce qui est des tartines j’ai bien suivi la leçon de Richard Bohringer dans « Diva ». Il y a des certitudes réconfortantes. Laurie sourit. Elle reconnaît le film, elle reconnaît la scène.
Je ne doute plus de mon choix. Il y a fond de moi enfin une certitude. Je n’ai plus envi de protection, je veux vivre avec Laurie. Je veux vivre. Je lui tends la tartine. Elle caresse ma main.
Elle tend sa bouche pleine de miette. Je l’embrasse et je rêve déjà d’être dans notre chez-nous, de l’emmener et de lui faire l’amour.