Bien des personnes se sont posées des questions. Parmi cette foule de questions inutiles, elles en ont choisi une qu’elles ont jugé plus importantes que les autres. Cette question se nomme « celle dont on va parler à la télé en disant que c’est un grave problème ». Un nom un peu long, qui peut aussi être qualifié de « sujet de société imposé ». Une sorte de sujet du bac en quelque sorte. Les médias en ont besoin pour vivre, les hommes politiques pour passer dans les médias, et la France pour ne pas s’ennuyer et avoir un bon sujet dont tout le monde peut parler le dimanche après-midi en famille. Même le beauf con, qui peut ainsi se sentir impliqué dans la vie politique, ou bien se sentir rebelle.
Mon beau frère est une famille à lui tout seul. Il appartient à la grande famille des cons. Désolé pour ma sœur, mais j’attendais de son petit ami un niveau plus évolué que celui de tout ramener à Sarkozy. Petit florilège :
1/ Ah ta Fiat a 60 chevaux ? Elle roule quand même à 150 km ? Planque la, on sait jamais si Sarkozy la voit !
2/ Tu mets ce sweat à capuche quand tu vas bosser ? Mais euh Sarkozy te laisse entrer ? Il autorise la capuche à l’école ?
3/ Boit pas trop, Sarkozy va te taper sur les doigts !
4/ Moi aussi j’aurai bien fait préfet, mais Sarkozy aurait pas été d’accord, je suis pas arabe…
5/ D’abord Sarkozy aime bien les préfets et les flics… Même arabes. Ce qu’il aime pas c’est les plus faible !
Peut-on parler de niveau zéro de la politique et de la discussion, sachant que ça n’a pas volé un seul instant plus haut ? (« Euh mais j’ai pas volé plus haut pour pas être mis en prison par Sarkozy » dirait sans doute l’intéressé).
Dans le grand débat sur l’intégration, j’ai eu parfois des sentiments confus. Quelqu’un expliquant ce qu’était de ne pas être intégré m’a démontré par a+b que je n’étais pas intégré à ce pays. Dur à admettre ! Enfin ces informations sur les ondes m’apprenant que le sujet de discussion des Français en ce moment, leur sujet numéro un, était les radar. Moi qui avait eu dans le mois trois discussions sur le piratage de Cd, et autant sur le dernier roman de Régis Jauffret, je me suis senti à côté de la plaque. Pas intégré. Pas Français. Déjà qu’au vote du Français le plus populaire, réalisé chaque anné,e je suis à côté de la plaque, ayant par exemple répondu que ma personnalité préférée était Woody Allen, je me sentais encore plus comme un non intégré. Pour moi Zinédine Zidane était un vendeur de voiture et de bouteille d’eau dont la caractéristique était de s’habiller en bleu tout le temps et d’être touché par une calvitie précoce. Raté donc. Idem pour le David Douillet, j’ai appris que très tard qu’il était champion olympique de pièces jaunes. Il me fallut me rendre à l’évidence, j’étais un mauvais Français, un Français qui ne faisait pas d’efforts pour s’intégrer. Un vilain donc. Une sorte de manant moderne. Un étranger vivant dans une autre galaxie, un peu comme l’a décrit Albert Camus.
Il me devint difficile de supporter cela plus longtemps. Je craignais en effet de ne pas pleurer si un jour je devais aller à un enterrement. Ou pire, d’être reconduit à la frontière, et être obligé de vivre au Maroc, voir dans la dictature démocratique de Monsieur notre ami Ben Ali roi Ubu de Tunisie.
Mais ça c’est le passé ! Car aujourd’hui, j’ai enfin pu me sentir Français. Car j’ai enfin eu ma discussion sur les radars automatiques. Pas une discussion approfondie d’ailleurs, j’ai juste demandé si on les trouvait sur le bord des routes. Mais ce n’était pas cela qui comptait, pas la densité de mes propos. L’important était qu’on m’en parle, que je sois là, que je sois enfin intégré à la grande communauté démocratique de ce pays, de celle qui discute de sujet important, essentiels, vitaux à notre avenir. J’ai aussi dit : « Oui c’est vrai, il faut lutter contre le tabac… Moi-même je compte arrêter !». C’est vous dire si je me suis senti Français ! Bon Français intégré ! Enfin pour finir j’ai dis que c’était une menace pour la République que Batman montre pas son visage à l’entrée des écoles, qu’on peut pas tolérer ça. Voilà, la démocratie et le débat démocratique c’est ça. L’important c’est pas ce qu’on dit, l’important c’est d’en parler, dire des trucs comme « la pente est tordue, mais la côte est raide, il faut donc de bonnes chaussures ». Aujourd’hui je me sens super intégré du coup, seulement c’est vrai je ne sais pas à quoi.
à 21:25