Elle observa que tout cela était très bien, qu’elle allait perdre quelques kilos grâce à moi. « Tu n’es pas d’accord que j’ai deux ou trois kilos de trop ? » me demanda-t-elle. Angélique est bien la dernière personne que j’aurais imaginé se souciant de cela. Comme quoi on en apprend tous les jours, on côtoie durant des années une personne en l’imaginant se foutant complètement des préoccupations du commun des mortels, mais il suffit d’une nuit passée ensemble pour subitement découvrir que cette fille qui semble se moquer de tout peut elle aussi complexer sur son physique. Ou tout du moins le feindre. Ce qui est du pareil au même. « Tu trouves que c’est sans motifs ? » observe-t-elle. « Moi je te trouve parfaite… Je ne pouvais même pas soupçonner que tu en doutes… ». J’observe que c’est bien la première fois que je réussi à répondre à ce genre de questions avec autant de réussite*.
Une telle discussion parce qu’il était déjà près de dix-sept heure et que nous n’avions depuis notre réveil rien avaler à part du café accompagné de clopes. « Tu te rends compte de l’exploit que je viens d’accomplir, dis-je avec amusement, combien de mecs peuvent faire tout cela l’estomac vide… ? ». Je l’avoue, façon assez médiocre de justifier ma soudaine baisse de régime tout en restant évidemment extrêmement modeste. « Mais non, tu étais très bien ! » me jure-t-elle en sortant du lit à son tour et enfilant sa culotte de la façon la plus naturelle du monde. « Tu devrais mettre des voilages à tes fenêtres maintenant… » dit-elle en passant sa tête dans un de mes t-shirt, faisant là allusion à une de nos anciennes discussion où je lui expliquais que vivant seul je n’en voyais pas l’utilité.
_ On mange quoi ? me demande-t-elle.
_ Au choix… parmi un large éventail de conserve.
_ Ca va être dur… Il y en a tant.
_ « C’est la vie… et c’est pas tous les jours joli ! »
_ Tu as du maïs… C’est quoi ta recette immonde au maïs dont parlait Lolita ?
_ Ah ça ? C’est le repas de gala, la spécialité du chef !
En deux minutes je réussis l’exploit que tout soit près, il y a des choses dans lesquelles il n’est pas inutile d’être rapide. Pour ce qui est de dévoilé un jour mes talents culinaires à Angélique (à ce jour seuls deux personnes ont pu en avoir un aperçu), je juge qu’il n’est pas encore temps. Il faut savoir ne pas dévoiler toutes ses qualités en même temps ai-je toujours pensé. En l’occurrence là, en ce qui concerne la cuisine, pas de risque à ce sujet, c’est pas avec un plat pareil que je risque de dévoiler quoi que ce soit.
Elle est dans mon dos, elle me regarde faire en rigolant, elle me murmure que puisque ça vient de moi ce sera forcément bon pour elle. J’aime sa joyeuse subjectivité, je trouve qu’on démarre bien, j’aime son rire dans mon oreille. Ils sont comme des applaudissements pour le prépararateur de menus à base de boîte de conserve que je suis. Enfin j’aime la sentir serrée contre moi, sa poitrine appuyée sur mon dos, son menton sur mon épaule, ses lèvres que par moment elle colle sur ma joue en se mettant sur la pointe des pieds.
Nous nous installons l’un en face de l’autre. Sauf erreur de ma part, à part brèves séparations causées par des pauses chiottes évidemment nécessaires, il me semble que c’est la première fois de la journée que nous sommes si éloignés.
_ On dort ensemble ce soir ? je lui demande.
_ J’espère…
_ Tu bosses pas demain ?
_ Non. Demain c’est lundi. On est toujours fermé le lundi.
_ Oui c’est vrai…
Elle fait bien de me le rappeler, je ne compte pas le nombre de fois où je me suis pointé au PMU pour acheter mes clopes et où j’ai trouvé rideau fermé.
_ C’est autre chose, analyse-t-elle, la plupart du temps tu ne sais même pas quel jour on est…
_ Mais non !
_ Je ne compte plus, mais je crois que la question que tu poses le plus souvent est « Au fait quel jour on est ? »…
_ Non, je demande bien plus souvent l’heure… Ou quel jour nous serrons le lendemain !
_ Gros malin !
_ C’est bon hein ?
_ Hummm… Excellent ! Raffiné ! C’est bien simple il n’y a rien à ajouté !
_ Quand on a mangé mon maïs – maquereau au vin blanc, c’est simple tout paraît fade à côté…
_ Si tu ouvrais un restaurant tu aurais au moins une étoile…
_ Ne me donne pas ce genre d’idée… Tu connais mon goût pour les affaires !
Elle rigole joyeusement.
_ Tu vois, j’ajoute, c’est nécessaire à l’équilibre des choses ce genre d’alimentation. Ca te rend le goût pour les bonnes choses, quand tu as mangé ça, après tu es prêt à aller au Mc Do ou au Quick et apprécier sincèrement ce qu’ils te servent.
_ Oui ! A côté c’est deux étoiles qu’ils décrocheraient…
Je prends un air renfrogné :
_ Tu pousses le bouchon un peu loin là ma chérie !
_ C’est vrai mon amour ! C’est vrai… Et je m’en excuse tout de suite !
_ Sincèrement ?
_ Sincèrement !
Elle remet son soutien gorge et son pantalon. Elle vérifie dans son manteau qu’elle a bien les clefs de son appart et de sa bagnole. « Je fais très vite… Juste le temps de récupérer deux trois affaires chez moi. Tu ne bouges pas promis ? Et tu m’ouvres quand je reviens ? » dit-elle. J’ajuste le gros col en laine de son pull. Je monte la fermeture de son manteau jusqu’en haut. Elle pose ses mains sur mes joues et m’embrasse vite fait, mais bien. « Tu vas faire quoi pendant ce temps là ? » demande-t-elle.
_ Je te prépare le même succulent repas pour ce soir ?
_ N’abusons pas des bonnes choses… … Enfin pas de celles là… tu m’as compris.
_ Non, je plaisante, mais ce n’est pas grave. Plus sérieusement, je crois que je vais me prendre une bonne douche ! Je l’ai mérité tu crois pas ?
_ Tu as du bain moussant ?
_ Du...............?
_ Bain moussant… Non ? Bon, j’en rapporte… Et tu m’attends pour te laver !
_ Je vois toujours pas ou tu veux en venir, j’enfonce le clou.
En parfait abruti je me suis toujours trouvé assez bon. Elle ferme le porte derrière elle, je peux être certain qu’elle va rester de bonne humeur un bon moment, un type comme moi on en a fait qu’un. Sur ce point je suis tout à fait d’accord avec Angélique. En même temps il aurait pas fallu exagéré non plus, deux ça aurait été du luxe. Sans compter que si je meure un jour je préférerai qu’on me regrette un peu, et qu’on ne puisse pas me remplacer aussi facilement. Si je suis comme ça, c’est que j’ai un peu plus d’ambition que tous ces mecs identiques un peu comme les pneus des bagnoles. J’essaie d’avoir une certaine exigence pour moi même.
Je regarde du balcon sa Calibra quitter le parking. Premières minutes sans elle. Elle me ma manque déjà. Je sens encore ses mains sur ma peau. Mon corps a le souvenir des belles choses que nous avons partagées ensemble. Ma langue tourne dans ma bouche, déjà un peu orpheline. Un de ses cheveux brille sur mon pull comme un petit brin de blé. Je décide de le laisser là, il est très bien où il est. Je m’allume une clope : « Mince, une fille qui avale ce que je lui donne à manger sans même broncher… » me dis-je.
*« Il senti un regard de satisfaction dans l’œil de sa partenaire, dans ses yeux, elle réussissait enfin à ressembler à celle qu’elle avait toujours rêvé d’être. Il avait su trouver les mots pour qu’enfin elle se sente belle à son propre regard ». Voilà ce qu’en littérature Harlequin ça donnerait.
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