Un effort. La vaisselle est faite. C’est donc avec un bureau à peu près rangé et un cendrier vidé, et ensuite proprement nettoyé, que je m’apprête à ajouter une page à mon moribond journal. Journal de quoi ? Journal de bord… Journal intime ? Chronique de je sais pas trop quoi ? Non rien ne va. Elle a écouté mon programme de la journée sans sourciller, mais je l’ai sentie dubitative. Elle ne s’est pas répétée. Bonne chose, elle sait que je ne suis pas sourd. D’ailleurs ne lui ai-je pas donné raison en reconnaissant la veille que j’ai depuis quelque temps une tendance maladive à trop charger ma brouette, à m’en imposer trop ? Je me surprends à vrai dire. Je vis absolument la vie inverse de celle que j’avais il y a six mois encore. Je me demandais alors où était toute mon énergie, mon enthousiasme et mon entrain. Il n’y avait rien. Et si j’avais le souvenir d’en avoir eu le temps était tellement passé que j’étais bien en peine de dater à quel moment cela s’était enfui. Je devais me motiver des heures pour agir, me secouer avec douleur, faire ce qu’il y avait à faire. Lentement, comme une fusée, étage après étage, je me suis rallumé. En admettant que les fusées s’allument étage par étage ce dont je ne suis pas certain… Mais admettons ! Histoire de ne pas planter une si belle métaphore… au décollage.
Ses paupières sont encore collées. Elle frotte ses yeux fatigués en gémissant qu'elle ne veut pas aller bosser. Elle préférerait rester. " Ah non non non! Sinon je ferai rien de ce que j'ai à faire... Va bosser!" dis-je. Elle rigole puis baille. J’annonce que je ferai la vaisselle. Depuis que je suis en travaux dans l’autre appart, que je passe entre huit et quatorze heures par jours sur « mon chantier », rien ne va plus de ce côté-là de la ville. Mon intérieur ne ressemble plus à rien. L’aspirateur est occupé ailleurs, il aspire du ciment et du plâtre, il a autre chose à foutre que de ramasser de petites saletés sur ma moquette, ou les poils du chat sur les tapis. Laura avoue, et ce n’est pourtant pas son genre la grande propreté, que ça commence à l’agresser. L’araignée la veille au soir, qui pionçait dans mes draps lorsque nous sommes rentrés, ne lui a pas franchement donné de l’espoir, mais plutôt un méchant frisson. Difficile d’expliquer que ce n’est plus qu’une question de temps et de vitesse de remplissage de cartons.
Il faut croire que faire la vaisselle est une activité tellement stimulante que je pense à notre Président bien aimé, l’homme qui aurait besoin d’être stimulé. Je repense à ce qu’il a dit. Je me demande s’il l’a pensé. Quel mystère que cette homme à la tête d’un régime en crise, qu’il a lui-même mis sans dessus dessous, et vient contre toute attente dire que notre pays va très bien si on vent dans un sens si si regardez bien ! Réélu en 2002 il disait en campagne électorale d’un pays qui venait de connaître une forte croissance que tout allait mal. Il en rajoutait même en utilisant de vieux chiffre de 1993…. Où est-il allé chercher ses chiffres cette fois-ci ? Navarro a-t-il résolu cette énigme dans l’épisode de la veille que j’ai raté une fois de plus ?
Un coup de téléphone de Laura. La vaisselle est finie, je lui annonce, elle s’en fout, elle est crevée, les gamins la font chier. Suggestion de sortie cinéma, Charlie et la chocolaterie, passe dans le centre. Elle doute que ça suffise à calmer ses deux fauves mal élevés d’après ses dires. « Si vous êtes sages on ira au cinéma » je l’entends leur dire. Ils n’hurlent plu dirait-on.
Question du jour : « Est-ce avec les vieux pots qu’on fait les meilleurs sourds ? ».