Chaque jeudi, ça loupe pas : rédaction.
Monsieur Larrivaud en est friand. « Une récréation pour le cerveau, qu’il dit, une détente à travers l’imagination ».
Quel écervelé ce Monsieur La Rive ô. Quel poète !
Mais moi récréation, détente, tout ça…Que dalle !
A chaque fois c’est très simple c’est un enfer.
« Ce soir vos parents sortent et vous laisse seul à la maison lorsque le plancher craque. »
Emmanuelle se précipite déjà dévorée par un film d’épouvante.
Maxime gratte aussi de sa plume : «Le coup du voleur, facile ! Il a vraiment pas d’imagination ce prof »
Coup du voleur. Facile. Ca devrait me donner des idées ! Mais non, toujours rien.
Noémie imagine une super méga boom où il n’y aurait pas que le plancher qui craquerait, sans doute les voisins aussi à cause de la musique trop forte.
Et moi voilà comme toujours je sèche.
Mes parents ne peuvent pas me laisser seul à la maison, j’ai toujours mes golios de frères avec moi. Et puis le plancher ne craque pas : en haut c’est de la moquette et en bas du carrelage.
Je suis embêté. Je lève le doigt. Monsieur le professeur ne remarque pas puis si.
Il vient.
Je lui confie mon ennui mon désarroi.
« C’est embêtant je lui dit, parce que dans ma tête il ne se passe jamais rien. »
Le professeur m’explique que c’est pas vrai que dans le cerveau des connections, des plans et des actions se déroulent toutes les fractions de secondes. Des trucs de synapses et de je ne sais pas quoi. Il me dit d’être à l’écoute de moi-même, de ne pas stresser, que ça vient tout seul.
Puis il me gratouille la tête du poing comme il aime bien le faire lorsqu’il nous aime bien et me plante là seul avec ma feuille.
Je crois que Monsieur La rive, ohhhh ! ! m’a fait peur. J’ai rien compris à ses propos sur les aventures des synapses du cerveau et déjà je vois pleins de petites créatures qui se baladent sur ma tête, vivent hors de ma portée, se racontent des histoires et ne m’en font pas profiter.
Je suis chez moi, assoupi dans le canapé. Elles circulent sans que je m’en rende compte. Elles font leur petite vie, vont, viennent. Il y en a de plusieurs variants, différentes couleurs, différentes formes. Elles sont à l’image des idées qu’elles portent. Elles deviennent copines, prennent le thé ensemble. Elles s’échangent des recettes de cuisines.
Petits crissements. J’ouvre un œil. Quelques couinements. Je pense qu’il y a des souris dans le salon.
Je me lève précipitamment espérant en toper quelques unes et là surpris : ce ne sont pas des souris et ces créatures autours de moi ne s’affairent pas à des affaires de souris.
Dans le salon c’est une imprimerie. Chacun à sa tâche. Des groupes se forment, les créatures associent leurs idées, entremêlent leurs pensées. Ou elles se racontent des histoires, ou elles les retranscrivent ou bien elles les éditent.
Ca piaille, la machinerie fait un bruit d’enfer. Une vraie industrie.
Qui aurait pensé que ma tête s’affole autant.
Elle produit dans le monde entier. Les livres sont en vente dans tous les comptoirs d’Orient et d’Occident. Tout le monde d’Est en Ouest, tout le monde au Sud au Nord, tout le monde se retrouve dans les belles histoires de mon cerveau. Tout le monde sans exception. Tout le monde sauf moi. Je suis le seul à ne pas profiter de mes histoires à moi dans mon cerveau à moi. Suis-je sourde et aveugle ? Vraiment je n’entend rien de rien, ne voit rien de rien. Mes fables ne me sont pas accessibles. Pourquoi ?
Penser ça, ca m’a donné envie de pleurer. J’aime pas pleurer.
Alors simplement je jette mes mains à ma tête enragée. J’attrape ces idées de créatures et les jette sur ma table. Je suis étonnée, elles me regardent comme ça fixement, certaines un peu furieuse d’autres amusées ou juste surprises. Elles ne s’échappent pas. Elles se fixent même encore un peu en vrac sur ma feuille blanche.
Monsieur Larrivaud repasse par dessus mon épaule me fait sa petite gratouille sur la tête. D’une voix souriante me sermonne : « C’est un peu griboulli fouilli tout ça. Il faudra que tu me mettes ce brouillon au propre. »
Il me gratouille encore.