Tout à elle. Mes pensées sont toutes à elle. La lumière de la route me crâme les yeux. J'ai un peu du mal à avancer. Je me gare sur le parking d'une superette qui se présente en traversant un de ses patelins où je ne me suis jamais arrêté. Un simple nom sur un itinéraire. J'achète une bouteille d'eau. Je la sors d'un frigo bariolé d'autocollants. Je paie. Et la suite c'est des gorgée d'eau trop froides, mais je n'ai plus la bouche en carton pâte. Ni la langue brûlante comme une plaque de cuisson. Je me remets derrière le volant. Je rejoints le flot des voitures de dix-huit heure trente, ces voitures pressées de rentrer chez elle après des journées de bureau, vives aux traversées des villages après pour beaucoup d'entre elles les longues heures immobiles aux sorties de la capitale. Je roule derrière une Safrane. Et devant un Kangoo. Durant des kilomètres au beau milieu des forêts. La musique à fond. Mes pensées sont toutes à elle. Je me demande si je n'étais pas un peu con lorsque j'ai acheté ma voiture et n'ai pas pris la climatisation pour des questions de respect de l'environnement...
Et alors vient ce carrefour. Un cédez le passage quelques mètres devant. La première voiture de la file s'engage sans ralentir. Puis la seconde. Je suis le troisième. Je marque une pause Je ne vois rien venir. Si. Une moto. Mais elle est au loin. J'accélère pour m'engager. Mais pas assez vite. Alors que l'homme à la moto arrive bien plus vite que je ne l'avais imaginé. Et c'est fatale. Je le vois dans mon rétroviseur freiner, un nuage de fumée part sous ses pneus. Il part dans le bas-côté, se plante dans le champs.
Il n'a rien dieu soit loué. Je me sens dans la peau de ce type, cet assassin sur une plage dans Albert Camus. Le soleil... Le soleil... Le soleil... Je cours vers le motard. D'autres se sont déjà arrêté. Il me maudit. Et je sais qu'il a de quoi. Mais il est debout. Je respire un peu mieux. Il est debout. Il n'a rien. On l'aide à sortir sa moto du fossé. Elle n'est pas détruite, mais l'avant est abimé.
Nous allons plus loin, dans un autre village où je ne me suis jamais arrêté. Seulement traversé. Nous nous asseyons à la terrasse d'un café. Lorsque je me souviens où je dois aller, que je dois la retrouver, que je suis déjà en retard, c'est pour constater que le réseau de mon téléphone portable ne passe pas. Impossible de la prévenir. Lui dire de m'attendre. Ou même la rassurer. Nous remplissons le constat. On discute. On fume. On boit un café. L'homme à la moto va mieux. Je me sens dans un rôle qui n'est pas le mien. Mais c'est ainsi, la vie sans doute, on se retrouve parfois à une place à laquelle on ne se serait jamais imaginé. Comme lui sans doute qui ne faisait que rentrer chez lui... Malgré le temps que je lui fais perdre, malgré tout, bien que ce soit de ma faute, l'homme à la moto ne m'en veut pas plus que cela. "Cela arrive". Il me donne une leçon en quelque sorte. A sa place je ne suis pas certain que j'aurai été aussi sympathique avec quelqu'un. Mais il l'est. Etrange, depuis combien de temps n'ai-je pas bavardé, pris un café avec un inconnu? Etrange que ce soit dans ces conditions que je retrouve une forme de communication avec le monde...
On se sert la main. On se souhaite une bonne soirée. Dix années de conduite sans un seul accident. Rappel : la route est dangereuse. J'ai eu de la chance. Il en a eu aussi. Tout cela aurait pu très mal finir. Je dois changer ma manière d'être. Je ne suis pas le pire. Je fais très attention. Mais ce n'était pas encore suffisant.
à 12:18