Elle est arrivée comme elle l’avait toujours fait, avec un quart d’heure de retard. Jessica est une fille qui est restée ponctuelle. Un quart d’heure de retard : jamais plus, jamais moins. Lorsque j’étais avec elle, il y a quelques années, dans une autre vie ai-je l’impression, j’avais fini par me demander si elle ne vivait pas tout simplement avec une montre éternellement en décalée de quinze minutes. Après vingt-quatre heure agitées, où je m’étais senti comme au cœur d’un brasier, j’avais enfin retrouvé mon calme. Je lui ouvrais détendu et non rasé, puisque depuis quelques temps je me suis aperçu que de ne faire aucun effort de rasage me réussit plutôt bien.
Premières phrases échangée. « Tu as trouvé sans problème ? – Oui, tu m’avais très bien indiqué. – Tant mieux. – Et puis tu oublies qu’on y est quand même pas mal allé à cette salle de concert… - Oui, c’est ce que j’ai pensé en prenant cet appart… Tu me donnes ton manteau ? ».
Elle regarde mon pull. Comme quoi même sans faire gaffe on peut avoir des actes réussis.
_ Tu l’as toujours ce pull… observe-t-elle.
_ Comme tu vois dis-je surpris de cet coïncidence, et ayant oublié qu’il venait d’elle.
_ Je suis contente de moi, il a bien vieilli !
Mon pull a sept an déjà, ça ne se voit pas.
Elle n’a pas changé, et pourtant si. Ce constat est d’une banalité incroyable, mais je la reconnais bien, son petit nez, son joli menton, la blondeur de ses cheveux, d’ailleurs toujours joliment coupés au carré… Je profite de l’instant où je lui retire son manteau pour regarder si sa nuque est toujours aussi délicieuse. Je sais que je fais peut-être quelque chose de dangereux pour ma santé future, mais j’ai le sentiment d’avoir les reins assez solides pour encaisser, ce n’est pas tous les jours que je me sens ainsi, je prends le risque. Ses épaules ont un peu changé, sa taille aussi. Tout le reste, que je m’épargne de lister, est exactement ce que j’imaginais lorsque nous étions ensemble, que nous envisagions l’avenir ensemble. Elle est devenu ce qu’elle promettait. La fille que je connaissais si bien est devenue une femme charmante, je suis troublé. Mais ça n’est pas grave, elle l’est aussi, elle semblait se poser les mêmes question à mon sujet, elle étudie tout de moi, jouant sans doute ce même jeu qui consiste à rassembler les miettes du passé.
Un peu plus tard, enfin, j’apprends qu’elle a longuement réfléchi à me recontacter lorsqu’elle est revenu habiter dans le coin il y a un mois, mais que ça a été plus fort qu’elle. Je suis aux anges, si je ne l’ai pas oublié, qu’elle est resté comme un fantôme dans ma mémoire, dans mes placards et même mes vêtements, elle ne m’a pas oublié non plus. Lorsqu’elle me dit un peu plus tard qu’elle écrit toujours, je songe à tout ce que j’ai écrit sur elle, à mon premier roman qui dort dans le fond d’un carton, et j’aimerai déjà savoir si je lui ai inspiré quelques belles phrases comme elle m’en a donné à écrire.
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