Souvent je pense à elle, bien qu’elle n’en croie pas un mot. Les mots des textos ont remplacé ceux au creux de l’oreille, quand bien même ils sont au creux de l’oreille, ce n’est pas un souffle tiède qui les y porte, non ce n’est rien d’autre que le combiné du téléphone.
Lorsque Mélodie a eu son bac, elle avait plusieurs choix à faire, notamment quant à ses études. Elle pouvait rester dans le coin, faire une fac. Ou aller plus loin, à deux cent kilomètres environ, quitter la maison de son père, prendre « son indépendance » (toute relative), faire un IUT dont elle avait follement envi. Alors que nous pouvions nous voir tous les jours ou presque en juin dernier, dans cette dernière hypothèse il était évident qu’il en serait désormais tout autrement.
Retour en arrière. Nous sommes fin juin. Nous ne sommes pas en vacance dans le même coin de France, mais elle appelle souvent. Elle me paraît distante. La géographie, l’éloignement réel de nos deux corps n’y est pour rien. Certes, depuis que nous sommes ensemble, c’est la première fois que nous nous quittons ainsi pendant plus d’une semaine. Mais ce n’est pas la raison principale, je la sens tendue, hésitante, perdue. Elle compte depuis quelque temps mes mots d’amour, de tendresse, ces phrases qui pourraient marquer mon attachement à son égard, me reproche de ne pas avoir répondu assez vite à certains de ses textos, les moments où je suis injoignable. La douceur de Mélodie se serait-elle envolée avec l’été ?
_ Mais je sais que tu m’aimes, répond-elle, je le sais !
_ Alors c’est quoi ?
_ Je ne sais pas… C’est moi, je ne vais pas bien, finit-elle par lâcher.
_ Et je ne peux rien y faire, tu es certaine ?
_ Excuse moi… C’est moi qui gâche tout.
Une longue discussion s’en suit. Très longue, largement de quoi satisfaire plus d’un actionnaire ayant investi dans une société de téléphonie mobile…
Je finis pas lui dire que je tiens à elle, que de l’imaginer partant là-bas me fait mal au cœur, que j’ai peur aussi qu’on ne tienne pas la distance, les aller-retour en TGV le temps d’un week-end, les coups de téléphone… Oui je ne veux pas la perdre. Je ne lui dis pas, mais je suis certain que nous ne sommes pas ensemble depuis assez longtemps pour que notre histoire tienne devant un truc pareil. Il ne s’agit pas d’une théorie, cela ne vient d’aucune expérience à laquelle je puisse me référer, non, c’est plus simple que cela, je le sens. Mais je ne le dis pas. Sinon je sais qu’elle ne partirai pas, or je ne veux pas qu’un jour elle puisse me reprocher d’avoir sacrifié quoique ce soit pour moi. Qu’elle reste et que notre histoire dure très longtemps (genre « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… »), ou qu’elle reste et qu’un jour l’un des deux déçoive l’autre. En fait je ne crois pas que l’on puisse sacrifier ce genre de choses, l’envi d’un métier, de certaines études, une passion dans le cas de Mélodie… pour un garçon… ou même une fille. Dans mon cas je l’aurai sans doute fait. J’en aurai été capable. J’ai déjà déménagé pour cela… Je suis justement allé habiter dans cette ville sur la Loire… Cette même ville où risque de partir Mélodie. Je n’ai rien sacrifié pour cela, pas mes études du moins. Mais là, maintenant, à vingt-cinq ans, avec cette expérience que j’ai déjà pu acquérir, je ne crois pas qu’à dix-neuf, l’âge de Mélodie, on doive se résigner pour la lumière d’un lampadaire… (même si le lampadaire en question n’est autre que moi). Entre se résigner à laisser quelqu’un qu’on aime et se résigner à ne pas faire le métier qu’on a envi de faire, je crois que le choix est vite fait. Je finis par le dire à Mélodie. Elle pleure. Elle sait que j’ai raison. Elle ne m’en veut pas. J’ai aussi envi de pleurer. Je sais qu’elle va partir.
Elle est partie il y a quelques jours, pour sa rentrée. Je lui avais proposé de l’aider pour son déménagement. Elle a répondu ne m’en veux pas. Nous nous sommes embrassés une dernière fois et son père l’a conduite à la gare. Direction Montparnasse. Puis TGV jusqu’à cette ville en bord de Loire. J’ai son adresse, sur un bout de papier, elle a peu parlé de son nouveau chez elle avant de partir, peut-être par refus de parler de l’avenir sans elle, sans moi. Je sais juste par le bout de papier où elle vit à présent, sur les quais de Loire, des quais verdoyant si je me souviens bien, un peu à l’écart de la ville, pas loin d’une passerelle qui enjambe le fleuve. Le soir, la passerelle s’illumine violette, lorsqu’il y a du vent on sent des secousses dans la structure. J’aimais aller me promener par là-bas lorsque j’habitais cette ville. Traverser le fleuve pour aller rendre visite à des amis…
Le lave-linge marche, et je sais à présent le piloter sans la moindre difficulté. Pourtant je n’ai pas encore voulu laver mes draps. La nuit, lorsque je me tourne, parfois, il me semble sentir son odeur qui est restée sans doute dans un coin. Mais elle n’est pas là, il n’y a plus le souffle paisible qui est le sien et se transforme parfois en ronflements réguliers lorsqu’elle est enrhumée. Je réfléchis à prendre un chat.
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