Il y a le coup de blues. Les bleus à l’âme. Marre de cette terre toute froide. D’accord c’est beau. Alors oui c’est beau. Les oiseaux là, en tas, en vole dans la grume. Sur le brouillard. Tu manques. Je pourrais parler si t’étais là. Mais je vais faire comme toujours. J’ai toujours fait comme ça. Dans ma tête ça parle. Quand ça déborde je laisse déborder. Je fous tout ça sur du papier. Sur un cahier, dans mon journal. Je suis un moderne à présent. Comme un pianiste. J’appuis sur des touches lorsque ça déborde. Mauvais temps ? Non. Il fait juste trop froid. Parfois je me dis que je devrais faire un régime pour grossir. Prendre tout un tas de graisse. Avoir une sorte de manteau naturel. Mais ça doit être chiant de pas pouvoir l’enlever quand on veut.
J’ai joué à marcher sur le bord du trottoir. Elle jouait à me faire peur. Comme si elle allait me pousser. Mais elle veut pas se débarrasser de moi. Elle m’a pas poussé. Ca m’a fait plaisir. Et j’ai eu moins mal. Passer sous les roues d’une voiture ça, ça doit pas faire que du bien. Mais si elle m’avait poussé dessous, je crois que c’est ça main me poussant qui m’aurait fait le plus mal.
Elle a ses bras autour de son corps. Comme ça, pour se réchauffer. Pour réchauffer ses mains elle a des gants. On va entrer dans le marché. Je pourrai acheter des trucs. Mais j’ai rien envi de porter. Puis je veux pas sortir mes mains de mes poches. Puis je veux pas parler. Elle est bien elle parle pas. Elle pourrait parler, elle serait bien aussi. J’aime bien qu’elle parle. J’aime bien qu’elle parle pas. On est tous les deux. Mais très seuls. Elle doit penser à ses trucs à elle, à ses amours ou des trucs pas très folichons du genre.
Je ne sais pas à quoi penser. J’ai même pas de trucs à penser. Sinon je nourris mes espoirs si je pense. Après ça part trop vite. Et je veux pas partir trop vite. Bientôt ce sera l’hiver. Il y aura du givre, des plaques de glaces. Je veux pas rêver, pas trop, c’est le meilleur moyen de glisser sur une de ces conneries de verglas.
Y’a Charlotte qui paie des légumes. Elle palabre. Elle parle toujours Charlotte. Pas une fois où je l’ai pas vu parler. Même au théâtre elle peut pas se taire. Elle vient nous parler un peu. Mais notre motivation à la discussion doit vite lui faire sentir le froid. Elle s’en va. Je suis sûr qu’elle va essayer de parler à ses légumes. Ils ont de la chance les légumes de Charlotte, il vont avoir une super discussion avec elle avant d’être bouffés. Ca arrive pas à tous les légumes ça.
A chaque pas on est frôlé maintenant. Ou on frôle quelqu’un. Au début c’est désagréable. Après on s’y habitue. C’est un peu comme pour se baigner dans la mer. Sauf que ’aurai du mal à dire que j’aime ça. On avance coûte que coûte. Il y a un type avec un micro accroché autour du cou. Il vend des manteaux révolutionnaires. J’ai rien contre les révolutionnaires en règle général. Mais ça me ferait chier d’avoir affaire à un manteau qui se prend pour un révolutionnaire. Décidément tout le monde s’y met.
Des mamans s’arrêtent avec leur bébé en colère. Elles tiennent des poussettes excédées. Il y a un goût amer. Nous sommes serrés. Devant comme derrière. Les jardins sont solitaires. Personne ne semble avoir envi de rigoler. Dommage, j’aurai bien aimer qu’il y ai un clown ici.
Plus loin, nous marchons toujours lorsque je reçois quelque chose dans le dos. Pas un choc. Pas un coup. Plutôt une étreinte. Lili m’a mis la main dessus. Elle s’accroche. Elle est comme mon sac à dos. Sa mère arrive. Elle nous salue. Elle dit qu’elle doit y aller. Lili veut pas. Lili veut pas me lâcher. Lili menace de pleurer. Elle est bien la seule à être prête à cela pour moi. Je la raisonne. Elle repart presque calmée. Elle m’a mis du baume sur le cœur. Même si je me demande toujours pourquoi c'est une fatalité qu'elle reparte à chaque fois.