Elle vient me voir. « Une autre ? Je te l’offre ». Si elle me prend par les sentiments… « Je me suis abonné à Télé Z, dis-je en la regardant poser devant moi deux verres pour m’accompagner, comme ça tu te foutras plus de moi à chaque fois ». Elle, elle voulait me vendre Télérama. Elle coupe court à la discussion pour aller servir des Marlboro Light à une blonde hyper pressée et l’exprime en usant son verni à ongle sur la petite vitre du repose monnaie. Elle rend la monnaie puis revient. « Tu peux me garder Elisa deux ou trois jours durant les vacances, pendant que je travaille ? » me demande-t-elle. Je suis surpris. D’habitude c’est plutôt Arnaud qui se charge de me demander ce genre de service. Je dis qu’il n’y a pas de problèmes, que j’ai juste déjà Lili, mais qu’au contraire, ce sera sympa. Elle repart servir deux ballons de rouge. Echange quelques phrases puis revient. « Ca va sinon toi ? » me demande-t-elle. Je réponds que je me sens seul comme chaque fois que le boulot s’arrête. Elle rigole du pauvre petit bonhomme que je fais et qui ose se plaindre d’être en repos. « Tu as vu Lolita et son mec ? je lui demande. Ils vont bien ensemble mais du coup je ne la vois presque plus…Je pensais voir Jessica, dis-je mais elle part en vacances… ». « Au Maroc elle aussi ? » demande-t-elle avec de l’ironie dans la voix. Je suis surpris. « Arnaud se l’envoie, me déclare-t-elle après un long silence, tu l’ignorais ? ». Je reste sur le cul. D’ailleurs je me demande si je ne suis pas en train de faire un cauchemar. Mais non. Elle me ressert une bière. Décidément elle me gâte aujourd’hui. « Tu ne le savais pas ? » me demande-t-elle. Evidemment non. « Tu ne dis rien ? Tu le laisse partir ?!!!» je m’étonne. « On est en train de divorcer, c’est décidé depuis juin… Arnaud ne te l’avait pas dit ? » demande-t-elle.
Arnaud est le premier de mes amis à s’être marié. A présent il est aussi le premier à divorcer. Elisa n’a que quatre ans. Je savais que ça n’allait pas trop bien entre eux, mais j’avais toujours considéré que ça passerait. « Non ça n’est pas passé… » soupire-t-elle. Arnaud ne voulait pas d’Elisa. Angélique ne lui avait alors pas laissé le choix. Mais ensuite elle ne s’était jamais sentie mère. Jamais. Arnaud a toujours été père et mère à la fois. Un papa gâteau. Arnaud n’est jamais vraiment sorti de l’enfance, mais il très bien rempli sa mission. Il travaille dans les dessins animés. A côté de cela il s’est fait un petit nom dans le monde de la B.D. Il a fait des mangas français notamment. Il a beaucoup de talent pour dessiner les lycéennes sexy. C’est son truc à lui ça les lycéennes en jupe.
« Jessica ne te l’avait pas dit non plus ? » me demande Angélique. Mais elle connaît la réponse, c’est une sorte de courtoisie de sa part. « Non » dis-je tout simplement. « Avec ses airs de lolita moi ça m’étonne pas qu’il en soit tombé amoureux » dit-elle en experte. On ne doit pas parler de la même Jessica. On n’a pas du voir la même me dis-je. Mais sans doute que ce n’est pas moi qui ai vu la bonne. Après tout, que puis-je penser à présent ? « Mon mari n’est pas sorti de la crise d’adolescence » dit-elle. Il a les mêmes propos à son sujet, mais je ne lui dis pas, ce ne serait sans doute pas une révélation pour elle. Je me contente de boire ma bière, je commence à me foutre d’à peu près tout, de Jessica comme du reste, dans le fond je ne suis pas mécontent. Je regarde Angélique, le menton enfoncé sur la paume de sa main. On a tous les deux des visages crispés je crois. « Je l’ai trop trompé, dit-elle seulement,j’ai trop tiré sur la corde ». Elle part servir d’autres verres. Echanger des paquets de clope contre des euros. Elle n’a pas l’air triste. Elle a dit cela presque soulagée. Elle n’a exprimé de l’agacement uniquement lorsqu’elle parlait de Jessica, comme pas mal de filles elle ne l’a jamais trop portée dans son cœur.
Je regarde dans le vide. Je pense à Jessica avec dégoût, un dégoût qui ressemble à ce que j’avais pu éprouver pour elle il y a fort longtemps. Mais on est aujourd’hui et je me force à sourire, si je creuse je sais très bien que je m’en fouts, comme je me fouts de pas mal de chose. Parce que je suis finalement un peu comme Angélique, très individualiste, et au bout du compte bien blindé. Je maudis Arnaud également, mais tout en me disant que Jessica était libre, que je le comprends, qu’il n’a pas dû avoir que des jours faciles avec Angélique. Je lui en veux tout en sachant que je n’ai aucune légitimité pour cela.
J’achète un billet de Millionnaire. Je gagne que dalle. Je m’arrête sur le chemin du retour pour m’allumer une clope. « Malheureux aux jeux…. ». L’important c’est d’y croire me dis-je. Finalement je suis heureux, et à cela je ne trouve pas d’explication.
à 12:42