Bienvenu dans l’ère du spécialiste. Soyez un spécialiste ! Quelque soit votre spécialisation, soyez le ou la meilleure et faites le savoir. Vous êtes le roi du conditionnement des andouillettes ? A vous les plateaux de J-P Pernaud (comme le Ricard et ce n’est pas du au hasard). Il est évident que étant spécialiste, nul autre que vous ne peut prétendre, sacrilège, action excommunicatrice, prétendre parler de loin ou de près de ce domaine : vous êtes le roi et "honni soit qui mal y pense"*.
Prenons l’exemple de Monsieur Guillaume X. Monsieur Guillaume. est compétent dans son domaine journalistique, c’est effectivement un spécialiste, nul autre ne peut aborder son sujet de compétence sans passer pour un fumiste au mieux et pour un pilier de bar aux opinions éthyliques au pire (je préfère encore la première option).
Il est évident que Monsieur Gérard P, tourneur fraiseur chez Renault a donc encore moins le droit de donner son analyse et de toute façon personne ne l’attends. Monsieur Gérard P. est pourtant un spécialiste mais un spécialiste très peu fashion. Monsieur Gérard P. appartient à cette catégorie étrange que la "France d’en haut" redécouvre périodiquement (de manière électorale ) après lui avoir supprimé ses allocations, que l’intelligentsia parisienne dit défendre sans pour autant lui manifester autre chose qu’un mépris de classe d’un autre temps ( du drame de ne pas être de son temps ).
Mademoiselle Evelyne C. est secrétaire dans une entreprise médicale, salaire lamentable, patron lubrique. Mademoiselle Evelyne C. n’écoute plus la radio. Mademoiselle Evelyne C. riait en écoutant la radio.
Pourtant, Mademoiselle C. aime cette radio de service publique qui lui fait oublier les fins de mois difficiles : Mademoiselle Evelyne C. s’évade en écoutant ces gens éminemment cultivés qui ont la chance de s’exprimer si bien dans le poste. Mais voilà, selon certains trublions pseudo comique avec la paternité pour seul blason, les secrétaires sont des "salopes qui aiment faire des heures sup. pour avoir de l’avancement grâce au canapé". Evelyne pleure, elle pleure mais tout le monde s’en moque, le bon mot est passé, le publique a bien rigolé que peuvent peser quelques larmes de la France d’en bas face au "on peut rire de tout"?
Evelyne n’écoutera sans doute plus la radio.
Evelyne pourrait connaître Monsieur Sulaiman Y, elle le pourrait mais Monsieur Sulaiman Y. est un obscur, un méprisé même pour des raisons inavouables et abjectes. Monsieur Sulaiman travaille dur, dans un bureau, astreint au port de la cravate, vie de grisaille, il faut bien nourrir sa famille. Monsieur Sulaiman Y. a décidé de ne pas se moquer de ses origines pour réussir. Il est fier de ce qu’il est, fier d’avoir réussi sans s'être enfermé dans un cliché banlieusard et sans s’être abaissé lui et sa famille dans des clichés fleurant mauvais les idées de Gobineau. Monsieur Sulaiman Y. est un être fondamentalement bon aussi ne regardera t’il pas les pitreries de Djamel D. Monsieur Sulaiman Y. est français et au son de ce mot il ne peut s’empêcher de ressentir de la fierté pour ce qu’il a accompli.
Dans le métro, Monsieur Sulaiman Y. a croisé Madame Margot E. Ils ne se sont pas salués, ils ne se connaissent donc pas en tout état de cause. Madame Margot E. et divorcée. Elle n’a pas eu la chance d’avoir un père chanteur, acteur, sportif, ministre, président (suivez mon regard) pour assurer sa carrière professionnelle : au vu des pressions de son entourage, nous pouvons avouer qu’elle s’est mariée jeune, très jeune. Peut-être était elle amoureuse ? Elle devait être radieuse dans sa robe de mariée, elle devait. Elle stoppa ses études. Son mari la quitta deux ans plus tard. Elle est emballeuse, elle pleure durant les pauses, entre deux piles de cartons, non loin de la fontaine d’eau.
Mais Madame Margot E. a confiance dans l’avenir car elle sait que si des médiocres comme MOF (présentateur sur France 3) peuvent réussir, elle aussi. "Je n’ai pas de Nom mais je ne suis pas manchote !". Nous pouvons dire qu’elle est naïve dans le sens noble du terme.
C’est étrange, mais elle se sent mal quand une icône du star-système parle de travail. Elle voudrait que les Carla B., les Guillaume D, les Charlotte G et tous les autres la rassurent : non, le talent est nécessaire ne comptent ni le répertoire ni le patrimoine. Madame Margot E. est rassurée, seul le talent assure la renommée et le bien vivre des étoiles du PAF, de la radio, des ministères et d’ailleurs. Un peu plus, et elle se serait cru dans une France d’ancien régime, où seules les élites percent, mettant inéluctablement leur progéniture aux créneaux.
Monsieur Gérard P, Mademoiselle Evelyne C, Monsieur Sulaiman Y, Madame Margot E font partie de la France d’en bas, celle qui ne fréquente pas les plateaux de services publiques ou privés, celle qui paie pour les autres, celle que l’on dit défendre sans la connaître. Ils sont des obscures dénigrés au nom de l’humour. Ils sont tour à tour des beaufs, des lumpenprolétariats, des intelligences de la main mais jamais des êtres humains. Même ceux qui se targuent d’être leur fer de lance dans les dîners chez Castel ne peuvent les voir sans réprimer un frisson d’horreur.
"Mon Dieu ? C’est cela le peuple !"
Monsieur Sulaiman qui aime pourtant plaisanter ne rigole plus. Il vient de comprendre. La France d’en haut ne se terre pas que dans les ministères et au Medef.
*Amusant cette devise britannique, pour l’honneur d’une Dame (fait totalement tombé en désuétude, l’homme se doit d’afficher un mépris glacé (Imaginez Catherine Deneuve dans, dans… comment dire ? Un de ses films ? ) ou passer pour un agréable benêt tout juste bon à écrire des chansons à l’eau de rose)