Alors voilà c’est l’histoire d’un journal que je commence comme ça. Sans raison vraiment. L’idée de m’occuper. L’idée d’écrire. L’envie d’écrire. Parce que si un type a hurlé « je ne sais faire que chanter », moi j’avais cette impression que je ne savais qu’écrire. Que savais-je faire ? A un moment je m’étais senti tout perdu. Elle était partie. Je peux dire que ça commence comme ça. L’histoire commence comme ça. Elle, une autre, ni Lolita, ,ni Angélique, non pas elles, ni celle qui est partie. Non. Nom : Caro. Alors elle m’emmène, presque de force, au coup d’envoi d’un festival. « Je sais pas si je veux y aller » dis-je. Pas le cœur à cela. Envi de rester à ressasser les raisons de ce nouvel échec. Envi de me remémorer déjà tous les beaux moments passés avec elle. Caro ne veut pas. Caro en démordra pas. Elle m’y emmène.
Je suis tel un zombie. J’entre dans l’amphithéâtre de la médiathèque de Poitiers. Il n’y a presque personne. Caro va saluer les personnes qu’elle connaît. Ceux qui participent à l’organisation du festival avec elle. Je prends un programme pour me donner une contenance. Je hoche la tête pour saluer, pour être poli. Il me faudrait des bras. Des bras pour m’aider à marcher droit. Des bras pour me serrer très fort. Des bras pour me dire que ma vie est magnifique quand même. Même sans elle. Des bras tout simplement. Alors je vais m’enfoncer dans un de ces fauteuils. Entre les deux accoudoirs, bien sûr ce n’est pas pareil. Mais je sais que c’est déjà bien. Je suis confortablement installé. Des gens vont passer devant moi, comme à la fac, me parler, me dire des mots, je serai avec d’autres, nous serons ensemble, nous écouterons, on nous dira des choses, à nous, j’écouterais, on m’emmènera peut-être très loin. Je l’oublierai peut-être. Durant deux heures, peut-être moins, peut-être plus, je l’oublierai un peu elle qui m’a signifié deux heures plus tôt que son point était un point final.
Coup d’envoi du festival, en petit comité, ici dans cet salle. Il entre. Le visage me rappelle celui de Jean-Marc Barre. Je le reverrai plus tard. En attendant je ne le connais pas. Je le reverrai puis je ne le connaîtrais plus. Que demander de plus à un comédien que de rester sensible dans la mémoire. Il va lire un texte. Une vie détruite, là-bas, loin, mais pas tant que cela, là-bas en Amérique du Sud, cette autre Amérique où des dictatures furent soutenus, où des enfants furent confisqués, des femmes torturées pour leurs idées, des hommes aussi.
Il lit ce témoignage. Caro est les oreilles grandes ouvertes. Je suis tremblant. Les larmes me montent aux yeux sur cette simple lecture. Je tremble. Je sens mes larmes couler. Je tremble. Il finit, j’ai des larmes plein les yeux. Voilà. La littérature c’est aussi cela. L’écriture c’est aussi ça. Lire un texte c’est aussi cela. Parler c’est aussi cela. Il y a eu cette personne que je ne connais pas, dont je n’ai pas retenu le nom. Elle a ressenti cela. Dans son coin. Elle l’a écrit. Un homme me transmet ce texte. Leurs noms me sont déjà passés dans la minute. Mais j’ai ressenti cela. J’ai vécu cela. Avec eux. Une personne a vécu cela, elle l’a écrit, une personne plus sensible peut-être, une personne qui a pris son stylo, sans savoir si quelqu’un d’autre ressentait au même instant la même chose, si c’était banal ou non. Elle a raconté. Simplement. Et j’ai pleuré. Je me suis ressenti vivant. Bien plus vivant que je ne m’étais senti dans les bras de Lorie. Bien plus vivant que je ne l’avais été depuis plusieurs mois sans doute. Des années sans doute. Trois années même si je cherche.
Fermeture du festival. Il erre là. Moi je vais d’un spectacle à un autre. « Court toujours ». Le nom de ce festival. Un festival consacré à la forme courte. Danse, musique, théâtre, écriture… Des moments courts, mais intenses. Caro vend les livres. Armando Llamas est l’invité d’honneur. Je lui parle sans savoir qui c’est. Comme je parle à d’autres personnes présentes dans la salle. J’ignore qu’il est l’invité d’honneur. Je partage un verre avec lui. « Toi tu écrits ? » me demande-t-il. « J’essaie » dis-je. Il prend un air étonné. Il me demande du feu. J’allume sa clope roulée. « Je commence, j’arrive jamais à finir ». Je suis arrivé à la bourre. Je sais pas qui c’est. Il m’explique que lui aussi, il a du mal à finir. Il raccourcit. Il fait court. Il sourit. Festival du court oblige. N’arrive-t-il pas à faire court, ou dit-il cela pour m’encourager ? Il me dit de ne pas hésiter à faire des textes courts avec ceux que je ne finis pas. Un peu plus tard j’apprends qui il est. Je découvre ses textes.
De retour chez moi je reprends d’anciens textes inachevés. J’ai commencé des dizaines de romans. Parmi eux je prends ceux qui m’inspirent. Je les achève dès que j’ai une bonne idée. Là dix-huit pages. Là trente. Ici cinq. Je lis des nouvelles. J’e comprends la méthode. J’écris de nouveaux textes, destinés à ne rien être d’autres que des nouvelles. Les jours passent. Les semaines. Etrange sensation de facilité. Sensation de créer. Un bien être jamais ressenti jusque là. L’écriture et moi. Le reste du monde n’existe plus. Les mois passent. Avril ou Mai. Je ne sais plus trop. Enfin j’achève mon périple. Huit textes sélectionnés parmi tous ceux que j’ai travaillé. De nouveaux écrits qui m’imprègnent encore. J’ai atteint Agua Amargua. Le point où je sens que je peux m’arrêter. Voilà mon premier recueil achevé. Nous sommes un jeudi. Le lundi matin j’emmène tout cela à photocopier pour avoir trois exemplaires à tester sur des proches. Je rentre. Je prends le Monde dans la boîte au lettre. Je commence à le lire avec un café clope dans la cuisine. J’y arrive. Les pages où on annonce les morts célèbres, même à peine connu. Armando est mort jeudi. A Paris. J’ai du mal à y croire. Je pleure. Saisi par cette coïncidence. Je ne sais à qui en parler. J’appelle Caro. Personne. J’envoie un texto. J’ignore ce que je ressens. Je n’ai rencontré qu’un écrivain. Il m’a parlé gentiment. Il m’a remis au travail. Il est parti sans que nous nous connaissions le jour où je finissais d’écrire en songeant aux quelques phrases qu’il m’avait dit.
Les jours sont beaux. Le soleil brille souvent malgré tout. J’ai achevé ce que j’avais commencé. Etrange sensation. Etrange nouvelle qui m’est parvenu au moment où j’étais le plus heureux des hommes.
Alors je me remets déjà au travail. Je ne veux pas de pause. Mais rien ne passe. Rien. Alors je commence mon journal. Sur journal secret d’abord. Puis sur joueb. Puisque je n’arrive plus à écrire, je me raconte. Sans passé. Rien que le jour le jour. Des bouts de vie. Tellement plus facile à raconter. Sans se dévoiler. Des petits mots déjà. Des gens qui aiment. Une petite fille de douze ans qui me dit rigoler. Qui me dit aimer. Qui me dit lire plusieurs fois chaque texte. Quelques autres personnes. J’ouvre mon joueb. D’autres messages pleins de gentillesse. Il paraît que je sais écrire ! Plus tard, encore plus tard des rencontres.
Voilà, je me suis mangé de la tarte au pomme. Je me suis dit « vingt mille au compteur, c’est pas rien ». Je n’avais pas vingt mille bougies, alors je l’ai mangé avec de la chantilly. Bien sûr un compteur ça veut rien dire, ça sert juste à comptabiliser des visites. Mais depuis septembre ça en fait quand même un paquet. Vous êtes arrivés là par hasard. Vous revenez régulièrement. Moi ça me fait toujours plaisir. Un peu comme une extension de mon salon. Je propose des textes. Vous réagissez ou non, le lisez jusqu’à la fin ou repartez après trois lignes. Mais je vis une belle aventure. Juste ce que je voulais. Juste ce que je pouvais espérer. Internet a aussi du bon, il y a des gens qui en connaissent que les salons de discussions. Du côté des blogs on est bien. Loin du vacarme. Un autre Internet auquel je me sens appartenir.
Je me sens enfin appartenir à quelque chose.
à 08:07