Je lis en gros, encore plus qu’en diagonale, je tourne les pages, comme si en quelques secondes je pouvais saisir toute la moelle du livre. Elle jette un œil par en dessous à la couverture. Fnac de L’Agora ce samedi. Foulitude dans la galerie marchande. Pas un rond dans le fond de ma poche. But I’m kind. Même si j’ai toujours cette envie de mordre. La tronche de l’humanité me revient moyennement en ce moment. Je vais le dire comme cela. Je n’irai pas jusqu’à lâcher un « semblables je vous hais ». Justement, je ne me sens pas semblable… « Tu crois que ça te concerne ? » me demande-t-elle. Je pèse le livre en le refermant. Je soupire. Il y a peu de probabilité que je fasse parti de ces introvertis décris dans le livre. Peu de chance donc que j’y trouve le moindre remède. Alors qu’est-ce ? Agoraphobe je ne crois pas, même si je déteste ces immondes centres commerciaux, ces temples où règne le plus souvent superficialité et mauvais goût. Fringues dégueux dernier cri, téléphone portables à la mode, décoration super tendance sous les sunlights artificiels… Musique et technique de vente incroyable. Mes semblables sont-ils victimes de cette immense propagande ? Prescripteurs ? Victimes consentantes ?
Autre décors. Mais je ne rigole pas plus. Et cette même question se pose… Pourquoi est-ce je besoin de sortir ma chaise du cercle, de reculer par rapport aux autres réunis pour le conseil d’école ? Envie de bailler certes. Il fait froid. Il vilain virus qui touche mes élèves les uns après les autres… Déjà six victimes. Serais-je la prochaine ? Ne serais-je pas au dessus du lot ?
Parfum de clope dans les derniers rayons du soleil, derrière l’école, avant la réunion… Question tout à fait stupide mais tout à fait essentielle : y a-t-il des personnes destinées ? Ai-je raison lorsque dans certains instants je me prends à rêver d’avoir un destin ? Je ne parle pas de destin de révolutionnaire, de destin politique ou économique. Pas davantage artistique. Seulement quelque chose… Un sens… Comme cette chanson d’amour de Laurent Voulzy où il déclare « je suis venu pour elle… pour qu’on s’endorme ensemble... ». Un destin dans ces eaux là… Je pense à ce que j’ai vu. A ceux que je connais. Qui croit encore avoir un destin ? Ceux qui s’en sont inventé un semble chercher l’enrichissement personnel… Nuire envers autrui. Et moi ? Cette question est essentielle. Ai-je envie d’être un bon enseignant ? Est-ce important ? Je sais que même si je l’étais, cela ne me serait pas suffisant pour plus tard prétendre avoir vécu.
Conseil d’école. Il semble que tout le monde veuille être bien. On rigole même quand ça n’est pas drôle. Sauf moi. Je ne me sens pas concerné. Pour les parents d’élèves il y a de quoi être concerné. Leurs enfants sont dans l’école. Mes collègues vivent dans ce bled. Elles sont en place ici depuis longtemps. Moi je sais qu’en juin l’affaire sera pliée dans le sac. Emballée… J’irai ailleurs. Non je ne suis pas introverti. Les plaisanteries ne m’amusent plus. Le sens de l’humour je l’ai perdu lorsqu’il est aussi inutile. Pas d’amis ici. Pas d’amours. Je ne plane sur rien. Je pense au CPE. Je pense à la précarité qui s’installe dans ce pays. A cette mondialisation qui ravage la planète. Je me fous et contefous de leurs soucis. Ces palabres sans intérêt. Puis il semble tellement se forcer à rire. Se sentir à l’aise.
La route du retour. J’ai bâclé le pot de fin de séance. Je n’habite pas la porte d’à côté. Faut bien rentrer. Si on me demande je peux toujours dire que le chat m’attend pour dîner non ?
Je ne suis pas plus introverti que cela. Je veux bien être acteur et je le suis bien souvent. Mais lorsqu’il n’y a pas d’issu je serai spectateur. Je crois que je refuserai toujours de faire semblant, de rire lorsque cela ne m’amuse pas. De croire à la fête lorsque l’on célèbre des enterrements sous le porche d’à côté. Je rirai, je serai heureux lorsque j’en aurais envie. Je ne marcherai pas à la trique bien gentiment.
J’en ai assez. A ceux auquel ça ne plairait pas je n’attendrai pas de déclaration de guerre. Qu’ils considèrent que je l’ai déjà engagée pour eux. Assez de sourire.
à 20:28