Voilà, ce sont les archives départementales. Qu’est-ce que je viens y faire ? Je sais pas. J’y suis. Je voulais y aller. Pourquoi freiner une telle envie ? Les archives et moi, c’est une vielle histoire. Les archives et moi c’est comme les deux doigts de la main Lolita ! Je lui raconte ça, elle me prend pour un fou c’est sûr. Si jamais il y avait un risque qu’elle m’annonce qu’elle mettait fin à notre longue amitié, là avec le coup des archives je suis sûr de la faire revenir sur sa décision et de lui faire signer un nouveau bail d’au moins cinq ans. C’est bien simple elle a failli s’est étouffée lorsque je lui sorti que j’y était allé. Elle a failli en recracher son whisky cette nulle. « Rigole rigole » je lui ai fait.
Pourtant les archives, on ne pouvait pas dire que c’était ma tasse de thé. D’ailleurs, c’est bien simple, c’était tout le contraire. Lorsque j’habitais cette ville située sur la Loire, j’y allais à reculons. Résumé : c’était mon pire cauchemar. Je détestais mon sujet de mémoire d’histoire, un truc sur les petites entreprises, pas au siècle dernier, non celui encore avant. Tout les ingrédients étaient donc là pour que la soutenance de mémoire passée, le mémoire validé avec des honneurs immenses (quand je réussis un truc je vois pas pourquoi m’en cacher..), je ne remette jamais les pieds dans un tel endroit. Mais c’était sans compter sur la nostalgie qui peut parfois me prendre à la gorge et m’enflammer. Un coup de tête donc. J’ai déménagé bien sûr, ce ne sont pas les mêmes archives. Mais j’ai ignoré cela. J’ai répété les gestes. Café, tartine, fatigue, musique à fond pour me motiver au petit matin. Je suis même allé jusqu’à remettre le même album de Mylène Farmer que celui que j’écoutais autrefois. Et à fond. Ils sont trop loin pour y aller à pied tel que je le faisais lorsque j’habitais cette ville sur le bord de la Loire. J’ai pris la voiture, j’ai fumé deux clopes sur le chemin. Comme avant. Puis une avant d’entrer. Enfin je suis allé à la machine à café, l’ordinateur portable sous le bras. Et je suis allé m’asseoir, fumer encore une clope. En peu de temps et sans efforts j’étais redevenu un étudiant.
Sur des sièges à côté de moi des étudiants de niveau maîtrise parlaient de l’avancée de leurs recherches. Il y avait celui qui est en avance et est énervant pour son entourage. Il y avait celui qui est ravi de son sujet, mais que le cadre universitaire irrite. Il y avait celui qui veut arrêter : mon double en quelque sorte. Un autre groupe parlait d’un article paru dans le Monde de la veille. Chose qui ne m’arrive plus, j’ai osé m’incruster. Dans le premier groupe. Parce que l’un d’eux traitait un sujet d’histoire économique. On a discuté de leur sujet, on a dit qu’il faisait froid dehors. Puis on m’a demandé ce que je faisais. J’ai répondu que je venais prospecter pour démarrer mon DEA. En quelques seconde je n’étais plus un enseignant, et j’ai trouvé cela euphorisant. Après cela je suis allé me faire faire une carte d’accès aux archives. J’ai rempli consciencieusement la fiche. J’ai mis une croix à DEA. Voilà me suis-je dis, si ça se trouve sans t’en rendre compte tu viens de commencer un DEA. Je l’ai mis en histoire économique, ça fait toujours peur à l’entourage, j’ai bien aimé.
Après cela je me suis mis devant le classeur qui présentait les cotes des archives. Un bout de papier devant moi, un stylo dans une main, j’ai passé ma commande en me souvenant du passé, des gens qui bossaient aux archives là où je faisais mon mémoire de maîtrise… Pour un peu j’aurai eu la larme à l’œil, l’envie d’aller y refaire un tour, certain que Marc, le gars du comptoir, se rappellerait encore de moi… Un gars avec qui on a tant bu et tant discuter ça ne s’oublie pas… Même si pour des raisons de tempérament introverti on n’a jamais su devenir des potes comme on en voit dans la télé.
En attendant qu’on m’apporte les cartons contenant les actes sur lesquels je compatis travailler, j’ai pris mon stylo et mon petit cahier. Et j’ai commencé à écrire. « Je suis revenu sur mes pas. L’envie soudaine de jeter un œil derrière moi. Comme de m’asseoir sur un canapé dont j’ai déjà complètement défoncé la banquette. L’envie de ne rien jeter. De tout garder. Tel un collectionneur. Je suis de retour aux archives. On ne fait jamais de l’histoire par hasard ».
Non, on ne fait jamais de l’histoire par hasard Lolita, et tu le sais aussi bien que moi !