Je la retrouve après une semaine sans elle. Ces sept jours semblent nous avoir rapprochés. En partant j’avais peur qu’ils soient l’occasion pour elle ou pour moi d’une prise de conscience au sujet de cette histoire. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Quelques coups de files. Quelques éclats de rires. Des « Tu me manques… - Toi aussi… ». Soudain tout devient plus clair. Nous ne tuons pas le temps ensemble. Nous avons très envi l’un de l’autre.
Elle n’a pas trop changé. Une dizaine d’années de plus environ, de quoi tenir les promesses annoncées il y a fort longtemps. Quelque chose a changé dans son œil… La malice et la sincérité ont remplacé la provocation et l’orgueil. Elle est une femme, plus une ado, il y a moins de révolte, davantage de confiance en elle sans doute. Davantage de certitudes, des doutes d’une autre nature… Elle semble sereine. Son sourire est franc, sans ambiguïté. Même si je les flammes n’ont pas disparu pour autant. En réalité j’ai du mal à nommer ce qui a changé. Elle n’est plus l’adolescente que j’ai connue. C’est tout. Comme je ne suis plus, et heureusement, l’ado hésitant et si manche que je fus. Mes cheveux sont moins blonds. Ils ne sont plus raides. Je n’ai plus les joues creusées, ce visage fin, presque malade que je me trouve sur les photos de cette époque. De la même manière que sa peau est plus lisse, moins rouge, plus claire… De petits changements en fin de compte. Il s’agit toujours d’elle. Nous avons appris. J’ignore encore bien des choses au sujet de Léonore. Mais probablement beaucoup moins que dix années plus tôt. A l’époque je ne savais rien des filles comme des femmes… Désormais le sexe opposé ne me fait plus peur, il n’est plus le danger, il peut être un complice et tant d’autres belles choses. Je sais malgré mes échecs tout ce qu’il peut y avoir de beau et de vivant dans une relation de couple.
_ On ne s’est pas compris…
_ J’étais très timide… dis-je. Tout l’inverse de toi.
_ Je le cachais mieux c’est tout !
_ Moi je n’y ai vu que du feu… Tu me faisais peur même. Tu me terrorisais je crois.
_ Tu rigoles ?
_ Non…
Je la rassure aussitôt. Qu’elle n’aille pas s’imaginer que je suis toujours et encore du genre à m’en laisser imposer.
_ Mais là crois moi plus du tout ! dis-je en rigolant. Je crois même que j’ai rarement vu une personne aussi peu terrifiante…
_ Et je dois le prendre comment ? sourit-elle.
_ Mal, très mal ! C’est pas un compliment venant de ma part…
_ Je me disais bien aussi… murmure-t-elle, doucement, en en me quittant pas des yeux.
Un ange passe.
Soudainement nous semblons réaliser qu’il n’y a plus de musique.
Nous avons en même temps le même réflexe de regarder l’heure. La salle du restaurant est entièrement vide. Toutes les chaises sont sur les tables. La lumière a été éteinte sur la moitié de la salle. « Je crois qu’on nous attend… ». Je la regarde passer son écharpe autour de son cou. Je pourrai rester des heures à contempler ses cheveux blonds et son visage.
Ils éteignent derrière nous. Seule l’enseigne reste encore allumée, elle se reflète rouge et verte sur la neige, nous sommes seuls dans la rue, on ne voit pas nos chaussures enfoncées dans la poudre blanche. On se retient l’un à l’autre pour ne pas glisser. Je trouve cela presque surréaliste de tenir sa main. Elle était mon passé. Mon histoire. Une page parmi des pages, pas la pire, mais très certainement la plus ratée. Mais à présent, malgré la fierté d’être avec elle, je ne crois plus qu’elle soit trop bien pour moi. Je n’ai pas peur. Même pas de glisser.
à 18:25