Nous nous regardons en passant devant cette vitrine. Le carreau est très propre, la lumière blanche du ciel trouve un écho soudain. Nous passons rapidement, mais j’ai tourné mes yeux en direction de cette vitrine qui renvoyait ainsi au hasard de la rue notre image. J’ai vu que Laurie nous avait observés elle aussi. Nous n’avons pas vraiment changé. Pourtant il y a une chose essentielle, que dans la vitre j’ai vu, et qui ne se voyait pas. Nous sommes un couple. Nous sommes ensemble, bientôt il me faudra accepter que nous soyons comme tant de ces gens qui vivent ensemble, que j’envie pour certain, que je déteste pour d’autre, considérant leur conformisme de haut. Simplement parce qu’ils ne se sont jamais imaginés autrement que papa-maman-bébé-maison-chien-voiture.
Longtemps j’ai considéré la vie en couple comme le tombeau de l’amour, l’autoroute du conformisme. « Ils ont décidé de vivre à deux parce qu’il y a toujours deux chassons dans une paire » me disais-je chaque fois qu’un couple d’ami annonçait le visage radieux son accouplement intra mural.
Au fond de moi une petite voix se croyait plus forte que tout le monde, elle me faisait lancer parfois de petites piques sur tel ou untelle. A côté d’une autre petite chanson, celle que je chantais comme tous les garçons et les filles de mon âge en espérant vivre un jour avec l’âme sœur, la petite voix moquait avec mon approbation tous ceux qui, à peine libérés de leur parents, allaient se perdre dans d’autres filets.
Cette image dans la vitre, il me faudra accepter qu’une partie de moi s’en soit longtemps moqué sans ménagement, en lui souhaitant tout le malheur du monde.
« Une seule chose m’ennuie, dit Laurie alors que nous entrons dans le magasin. Nous sommes désormais ressemblant avec ces couples qui vont chez Pier Import. D’ailleurs nous y sommes… Nous sommes pareils finalement… Cela me rend triste et heureuse à la fois. Je crois que je préfère ne pas y penser ».
_ J’avais rêvé ne jamais songé à cela… dis-je à voix basse de peur de devoir le regretter ensuite.
_ Etrange, nous avons tous les deux rêvé que nous étions différents… Comme si cela suffisait à être différent.
Nous passons en caisse. Nous nous embrassons en sortant du magasin, regagnant enfin la rue et son plafond immense, gris et pluvieux.
« Il nous faudra à présent trouver d’autre ancrages à nos différences… Des choses peut-être plus profondes. A moins que des différences ce ne soit pas seulement des choix ? »
à 13:25