"Ouais et ça?". Elle prend sa tête d'écoeurée : "Pouah!". Moi je trouve cela bien. D'ailleurs ça fait très sérieux tout en n'en faisant pas trop. Elle n'aurait pas l'air d'une petite fille modèle en portant cela, mais au moins elle n'aurait pas des allures de Lolita. Je range le ceintre sur le rayonnage pour lui faire rentrer sa langue et ravaler cet air d'épouvante. Alors que nous continuons à avancer et que je me trouve à lui expliquer qu'à son âge porter un tel haut est un abérration, je me sens solidaire de toutes les mères et tous les pères de la Terre qui doivent résister à la tentation de leur progéniture de se saper comme les putes de la télé. Lili en rajoute une couche, elle a très bien compris ce dicours et elle me cherche en roulant des hanches et du cul. "Il y a des coups de pieds quelque part qui se perdent" je me surprends à penser avec la voix de mon père. Je m'appuis contre une étagère et je souffle. La voilà déjà repartie à l'assaut des super fringues aux couleurs bonbons. A la voir s'agiter on croirait qu'elle circule dans un magasin où tout est gratuit. Moi, je maudits sa mère, et je me demande pourquoi je joue si souvent ce rôle d'éducateur, de père de substitution. J'espère au moins que pendant ce temps elle se fait bien baiser... Vu le prix que je lui coute... Vu les épreuves que je m'impose... Tout ce que je fais pour que Lili ne sombre pas à nouveau, j'aimerai qu'un jour ce soit pour qu'elle ai une vie normale, que ses progrès soient durables, qu'elle soit bien dans sa peau. Heureuse. Mais puis-je cela? Suis je le plus qualifié pour le bonheur? Je dis non une nouvelle fois à Lili. Elle range le pantalon de Barbie-Girl en tirant le tronche. "T'es pas marrant!". En effet, je ne suis pas marrant, et pire, je ne crois pas que c'est en lui laissant porter ce genre de vêtements, en restant dans la séduction, qu'elle se sentira mieux dans sa peau. Je travaille. Cela ne se voit peut-être pas. Mais oui je veux l'aider à s'en sortir, lui faire comprendre que ce qu'on lui a fait est mal, mais que ça n'est pas tout de le dire, qu'il lui faut aussi saisir que ça n'est pas en faisant don de son corps qu'elle sera aimer. Qu'on ne doit pas l'aimer pour cela.
Je repousse ses caresses insitantes. Je dessers son étreinte. Elle a passé l'âge. Je sais à présent ce qui est malsain. J'ai tardé à ouvrir les yeux. Bien sûr je sais qu'elle me reproche de ne plus lui donner ses calins de bébés. Mais passé dix ans, avec ses formes de petite ado qui se dessinent, elle doit comprendre qu'elle ne peut plus agir comme une maternelle ou une baby-girl. Alors bien sûr j'y mets la manière, du moins j'essaie, tout cela ne doit pas la bloquer pour plus tard, seulement l'aider à grandir. C'est rien et c'est tout à la fois. Je marche sur un fil. De toute façon en continuant comme cela nous allions nous planter. En essayent autre chose ce risque est toujours là. Mais il y a un espoir. Je crois qu'elle commence à comprendre. Elle est tout sauf idiote. Elle n'est plus une enfant depuis longtemps. Trop longtemps. Tout cela on lui a volé.
_ Il est beau lui?
_ Ouais!
_ On le prend?
_ Il te plait?
_ En bleu ou en orange?
_ J'aime bien le orange...
On est parti avec le orange. Mais ça n'est pas fini. Lili a bien grandi ces temps ci. Sa mère m'a laissé largement de quoi l'habiller. On continue.
Cabine d'essayage. Une longue et dernière ligne droite. Le rideua se ferme. Puis le rideau s'ouvre, elle apparaît devant la glace, s'observe... Elle grimace aussi un peu. Je souris. Elle sourit. On rigole. Elle en rajoute chaque fois un peu. On ne pourra pas lui retirer cela. Au début ça n'était pas évident lorsque je l'ai connue. Mais à présent j'ai ce sentiment qui me rend fier : on ne pourra plus lui retirer sa joie de vivre. Elle devient jour après jour comme toutes les autres petites filles de son âge. Elle lit désormais. Elle veut des disques qui ne passent pas à la radio et dont on ne fait pas la publicité à la télévison. Depuis quelques semaines elle écrit dans un cahier. Tous les soirs avant de s'endormir. Pendant que je ne trouve pas quoi mettre dans le mien, elle gribouille son journal. Mais chut, c'est un secret!
à suivre...