Sur l’affiche déjà il donnait envi d’aller le voir, un truc dans l’attitude, quelque chose dans le regard. Ses chansons qui passent à la radio m’ont touché par leur justesse, une sorte d’univers commun, une proximité… Et puis une même question c’est quand le bonheur ? Bonne question, et j’en passe qui sur l’album trouvèrent un écho avec mon vécu. Angélique avait raison, on ne pouvait pas le rater. Une petite salle en plus, pas une de ces usines… ou alors tout juste une usine à chapeau. Elle est passée me prendre avec sa voiture. Elle était allée prendre les places dans la semaine. Elle avait dit « Tu fous rien toi aussi pour la Saint Valentin ? ». « Ben non… » avais-je trouvé à répondre. Alors nous étions partis tous les deux, des cœurs étaient collés un peu partout dans la ville, et des gens semés par deux marchant sur les trottoirs. Les commerçants s’étaient filés le mot, comme les couples la main, et étaient tous de sortis, affichant leur amour comme si tous les autres jours de l’années on leur en avait pas donné l’autorisation.
Une drôle d’ambiance dans la salle. Des amoureux très visibles comme on en voit rarement autant, tous serrés les uns contre les autres. Une ambiance festive, pas trop de place, les uns contre les autres. Sur scène un type qu’on a tout de suite envi d’aimer dès qu’il apparaît. Des textes sombres ? Mais des sourires sur les lèvres, tout le monde se retrouve un peu dans les histoires qu’il chante avec ironie, cynisme peut-être. Nous montons au balcon. Tout va bien. Le regard d’Angélique. Devant moi. La difficulté de se sentir vieillir dont nous avons tant parlé tous les deux. Même pas encore la trentaine, mais se sentir déjà usé, l’abandon de ses espoirs les plus fous, de ses rêves de jeunesse… Plus vraiment le début de nos vie, peut-être même pas encore au milieu… Elle me sourit, ce sourire usé qu’elle a parfois, plein d’humour, d’autodérision. Nous sommes tout près l’un de l’autre, deux êtres qui se sentent déjà vidés, avec déjà ce sentiment que le meilleur est derrière nous, que demain ne sera plus aussi brillant.
Elle est habillée comme je l’ai rarement vue. Ou alors plus depuis longtemps. « Tu espères te trouver quelqu’un ? » lui avais-je demandé lorsque nous étions tous deux au restaurant. Elle avait répondu par un haussement d’épaules. « Tu crois que ça devrait suffire ? » avait-elle demandé en rigolant. J’en savais rien. Qui peut dire ce qu’il faut pour rencontrer des personnes intéressantes ? Est-ce qu’un peu de maquillage suffit pour une femme ? Angélique n’a jamais manqué de prétendants… Physiquement rien ne cloche chez elle. Elle les rejette tous tout simplement, avec cet air lassé sur le visage lorsqu’elle en parle.
Alors que la voix du chanteur me berce, me donne envi de reprendre en chœur les paroles, je ne quitte pas son épaule nue juste devant mes yeux. Son gilet glisse de ses épaules, elle ne prend le temps de le remonter que lorsque sa chute atteint ses coudes. Je ferme les yeux, mais lorsque je les rouvre, impossible de ne pas voir la bretelle de son haut. Il me vient des visions, passer un doigt en haut de son dos, baiser son épaule, mettre ma main dans ses cheveux… mordre sa peau. Il ne me paraît pas dangereux de m’abandonner à ces caresses virtuelles, je suis juste derrière elle et Dieu seul sait ce qui traverse mon esprit, aucune partie de nos corps ne se touche, pourtant en laissant courir mon imagination il me semble que je peux sentir sa peau contre mes mains. Sa nuque se raidit. Elle remonte son épaule. Son gilet glisse un peu plus sur son bras. Sa bouche chante doucement, elle remue un peu sa tête, ses cheveux blonds bougent lentement devant moi. Elle tourne son visage vers moi, je me sens comme ce gosse persuadé qu’on peut lire dans ses pensées. Mais non. Elle ne peut pas. Elle voit juste mon visage. Elle a un sourire interrogateur. « Ca va ? » me murmure-t-elle. Pour toute réponse de ma part, un mouvement du menton, une sorte de oui. Elle se retourne. Il me semble nourrir subitement de drôle d’idées pour elle. Les élans du cœur qu’elle m’inspirait lorsque nous avions dix-huit ans me reviennent, je ne peux m’empêcher de sourire à cette petite ironie de la vie. Il doit y avoir trois quatre murs qui se fissurent moi qui deux minutes avant me croyait encore à l’abris derrière de solides blindages.
Nous battons le rappel avec le reste de la salle. Personne ne veut le voir partir. Tout le monde a des trucs qui brillent dans les yeux. J’ai un geste un peu fou, je prends la main de mon amie, d’Angélique, cette main qu’elle avait posé devant elle sur la rambarde du balcon. Dans ce que j’aurai imaginé de plus positif je crois, elle rejetait doucement ma main, comme dans une caresse elle me renvoyait ma main, et je lui murmurais un mot d’excuse, en espérant plus tard pouvoir expliquer mon geste insensé. Mais elle retint ma main. Elle soulève son ventre du muret. Elle pose son dos contre moi. Elle est contre moi. Je suis contre elle. Je mets mon autre main sur son ventre. Elle respire aussi fort que moi sous le léger tissu qui l’habille. Cali revient sur la scène sous les applaudissements. Elle murmure mon prénom. Je la retiens plus fort. Elle sert fermement sa main sur la mienne.
Angélique pose sa tête sur mon épaule. La salle reprend C’est quand le bonheur ? Nous fredonnons aussi tous les deux. « Et si c’était maintenant le bonheur ? » me susurre-t-elle à l’oreille.
à 16:54