Au salon de coiffure. Une discussion cheveux.
De l’extérieur je regarde de l’autre côté de la vitrine. L’endroit à l’air ouvert. Une fille avec des mèches blondes lit un magasine derrière un comptoir en croquant une pomme. Il n’y a qu’elle. Personne à droite devant les quatre miroirs encadrés en mauve où sont correctement rangés des flacons de toutes les couleurs. Les bacs où sont d’ordinaire lavés les cheveux sont vides eux aussi. Je pousse la porte. Une odeur de shampoing m’arrive aux narines, je suis dans un salon de coiffure pas de doute. La coiffeuse est souriante. Pas vieille. Sans doute moins que moi. Elle peut me prendre tout de suite. Je réponds que c’est parfait. Elle part accrocher mon manteau. Je la regarde faire et revenir. Au dehors il fait nuit. Un peu froid aussi. Mais là il fait bon. Elle me passe ce qu’ils appellent un peignoir. Mais ça ressemble davantage à ce que porte Harry Potter. Je me regarde à la dérobée dans un miroir. Je serai pas mal en sorcier. Il faudrait juste que je laisse encore un peu pousser mes cheveux. Mais pour l’instant je veux les couper. Je vois L. demain, et je trouve que pour une fois j’ai une bonne raison de me couper les cheveux, et j’aime bien de temps que ce que je fasse ai du sens. Un peu comme faire le ménage pour que ce soit propre est une cause insuffisante à mes yeux, mais motivante et pleine de sens à partir du moment que j’ai invité des personnes à passer.
Me sentir mal à l’aise dans un salon coiffure est une chose habituelle. D’une part j’ai toujours peur de repartir avec une tête pire qu’en entrant. D’autre part il y a des miroirs partout, et beaucoup de lumière. Cela me fait couler les yeux à chaque fois. Encore je ne parle pas de ce moment où le cou posé sur le rebord de la bassine, les néons du plafond explose mes pupilles. Enfin, si je me sens mal à l’aise, c’est qu’à chaque fois on me demande comment je désire que mes cheveux soient coupés, or je n’ai jamais trouvé de réponse à cette question pourtant essentielle.
_ La même chose en plus court c’est possible ? dis-je
_ Bien sûr.
Elle ne doit pas être coiffeuse depuis longtemps, elle ne me fait pas cette grimace du genre « ah oui mais ça ne veut rien dire ce que vous me demandez là ! ». Et elle ne me refile pas des horribles catalogues de photos où tout un tas de pauvres types font les malins avec leurs cheveux plein de gel.
Je me rappelle que lorsque je venais de revenir de cette ville au bord de la Loire pour habiter à nouveau chez mes parents suite à ma rupture avec Véronique, je faillis avoir un infarctus en passant devant l’un des coiffeurs près de chez moi. Une sorte de poster géant avec une jolie blonde bien coiffée et aux lèvres pulpeuses semblait me dire « tu regrettes hein maintenant, tu as vu ma bouche ? ». Etrange de voir la fille qui m’avait fait vivre un enfer se retrouver en vitrine à 250 kilomètres de chez elle, et moins d’un kilomètre de chez moi. Quelle ironie ! Evidemment je savais qu’elle faisait quelques photos, qu’elle croisait à ces occasions des mecs « super bien ». Mais là je trouvais cela abusé. Je due du coup tous les jours faire un détour afin d’éviter cette rue lorsque je me rendais travailler au centre de loisirs. Toutefois, lorsque j’étais avec un ami, j’avoue m’être amusé quelques fois à passer devant cette vitrine, pour dire « Tiens c’est mon ex… Ils l’ont toujours pas retirée… ». Effet garanti.
Lorsque l’on me lave les cheveux, je me sens devenir tout petit garçon. J’ai du mal à garder les yeux ouverts. A cause de la lumière blafarde qui vient du plafond sans doute. Des néons de marque Philipps, c’est marqué en gros sur un qui est grillé. Mais je ne pense pas que cette difficulté à rester les yeux ouverts ne vienne que de l’éclairage. Lorsque l’on caresse le dessus de sa tête à un chat, il a ces mêmes clignements des yeux, ces frémissements aux coins des paupières. Il finira par rouvrir les yeux un peu après, et secouer sa tête dans tous les sens. Un peu ce que j’ai envi de faire. Même j’essaie de me tenir correctement, je ne suis pas un chat. Je m’essuie les oreilles avec la serviette. En cherchant bien, il me semble avoir remarqué dans des documentaires animaliers que chez les singes la mère masse de cette manière le dessus du crâne de son petit. Qui ferme les yeux de la façon que moi lorsqu’on me lave les cheveux. Lorsque le singe est adulte, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, il a cette tendance à reproduire ce même geste, à passer sa main sur son crâne et sur son front. J’ai presque envi de faire remarque à ma coiffeuse que ce vieux reste de notre espèce ne subsiste plus que dans un salon de coiffure. Mais je suis d’un naturel peu bavard avec les coiffeurs et les coiffeuses. Je me sens tout petit garçon, je suis gêné par mon image dans le miroir. Gêné par les discussions qu’a la personne qui me coupe les cheveux. Du coup je m’en sens un peu idiot. Très introverti. Timide même. Oui, je crois que le terme est exact, je suis un petit garçon lorsque l’on me coupe les cheveux. Tellement gêné que c’est là l’explication majeure expliquant que je sois devenu un expert en coupe de cheveux au point de couper ceux de ma famille et de mes amis.
Elle a une maîtrise des ciseaux bien supérieure à la mienne. J’étudie bien. Puisque je suis là autant en profiter pour piquer quelques trucs. Je la trouve très douée de ses mains. Elle est moins embarrassée de son corps que moi. Moins courbées aussi sur la chevelure. Dans un sens, rien de bien anormal, elle est plus petite que moi d’au moins quinze bon centimètres. Puisqu’elle me parle cheveux, je finis par me dire que c’est assez stupide de rester là tout timide alors que j’ai sous la main une experte de la coiffure. Or je l’avoue, j’ai tout un tas de questions sur la profession de coiffeur, et sur les cheveux en eux même. Et tout d’abord les miens.
Ainsi j’apprends qu’il ne sert à rien lorsqu’on est frisé de vouloir avoir une coiffure si on déteste se mettre du gel. De la même manière, elle aurait pu me passer des catalogues avec des cons bien coiffés, mais dans ce genre de catalogue on ne trouve pas des modèles qui ont les cheveux qui bouclent naturellement, donc ça ne sert à rien, on ne pourra jamais me faire la même chose. En somme je me suis fait avoir durant des années. J’ai perdu un temps fou à essayer de me coiffer, et j’ai bien eu raison de passer à la tondeuse pour régler ce problème.
Enfin j’ose poser cette question restée désormais trop longtemps sans réponse. De tout temps je me suis considéré comme ayant les cheveux châtains. Une coiffeuse rencontrée dans une soirée m’avait emmerdé durant des heures à vouloir me faire admettre que j’étais blond. J’avais fini par lui répondre qu’elle devait être sans doute aussi coiffeuse que moi dentiste pour sortir des conneries pareilles. Du coup ma charmante coiffeuse de rencontre, à qui je semblais bien plaire, finit par me clouer le bec en me faisant remarquer que ne sachant elle-même rien du tout en matière de pédagogie elle ne se permettait pas de mettre en doute ma parole sur ce que je pourrai éventuellement dire sur l’apprentissage de la lecture. Ne sachant pas, je ne devais pas selon elle rater cette occasion de me taire. Elle partit sans plus m’adresser la parole de la soirée. Mais j’avais gardé la conviction que c’était elle qui avait tort.
En fait pas du tout. Ma coiffeuse du soir m’affirme elle aussi que je suis effectivement blond. Elle me dit que châtain c’est tout à faire autre chose, que c’est presque noir, avec de léger reflets roux. J’en sursaute sur mon fauteuil. Souriante, elle me demande si j’ai déjà vu un référencier.
_ Un quoi ?
_ Un référencier.
Elle pose ses ciseaux et son peigne. Elle va prendre un énorme classeur dans l’arrière boutique. Elle me l’ouvre devant les yeux en m’expliquant comment c’est fait. C’est simple, je veux le même ! Lorsque j’écris à chaque fois je me casse les pieds à décrire les couleurs de cheveux des gens. Dans le classeur il y a tout. Avec des mèches pour bien identifié. Je suis effectivement blond, catégorie blond clair. Je ne suis donc pas blond comme un Finlandais, mais je suis bien blond. Autant pour moi à toutes les personnes qui lorsqu’elles me l’ont dit j’ai soupçonne d’être aveugle ou daltonienne. Toutes mes excuses. En effet châtain c’est bien noir, avec de légers reflets marron. Quand aux cheveux bruns, ils n’existent pas dans le référencier. Quand je pense à la quantité de texte où j’ai décrit des personnes avec un vocabulaire aussi approximatif, de retour chez moi, je n’ai qu’une idée, retourner voir ma coiffeuse pour lui demander où je peux me procurer un référencier. En attendant, elle ferme son livre, toute contente de m’avoir appris des trucs, souriante, et moi aussi. On discute encore cheveux. Elle m’explique les études de coiffure. Les trucs pour ouvrir un salon, les diplômes exigés, et comme il peut être parfois usant de faire ce boulot. Mais elle avoue bien en profiter, et bien s’amuser à essayer toutes les colorations existantes. Elle se livre même sur ses cheveux, me les montrant, me parlant de se différents colorations ultérieur. Elle m’avoue avoir à l’origine la même couleur de cheveux que moi. Mais si jamais j’avais eu des idées derrière la tête après un tel épanchement capillaire de sa part, elle s’empresse de m’apprendre qu’elle a un petit ami, et que celui-ci grâce à elle économise cent francs par moi, et est ainsi toujours à peu près correctement coiffé.
Je regarde ma montre. Je suis arrivé depuis vingt-cinq minutes à ce moment là. Elle est dans les temps. Une fille en général lorsqu’elle a un copain ne tient jamais plus de trente minutes sans en parler. Ma coiffeuse n’échappe donc pas à la règle. Je trouve cela plutôt amusant. Voir charmant. Si un jour je veux écrire sur les amours d’une coiffeuse ça peut me donner des idées.
En attendant je sors dans la rue très bien coiffé, et content de moi. Je suis capable de faire la même chose bien que ce ne soit pas ma profession. Je mets mon bonnet pour ne pas attraper froid. Il faudra que je parle du référencier à L.
à 23:08