A sentir mon estomac nauséeux pourrir et hurler, à regarder tomber la pluie par la fenêtre alors que brûle ma cigarette et que la fumée envahit la pièce. Les yeux rouges, enroulé dans mon vieux manteau, une bouteille de vodka à la main, essayant de fuir mes vieux démons, de recomposer les fragments de mon esprit dilué qui s'évapore par les pores de mon pauvre cerveau dégénéré. Dans ces moments là il n'y a rien à faire, à part essayer de survivre, au coin du monde, regardant l'univers tourner. Je ne suis qu'une miette d'un gâteau pourri bouffé par des vers carnivores, tentant tant bien que mal de vivre, d'affronter mes fantômes, ces spectres fiévreux et maladifs qui viennent me torturer certaines nuits. Et ma vieille bouteille qui se vide à chaque lampée, peau de chagrin du désespéré que je suis, glanant une euphorie éphémère de quelques heures qui cède la place à des maux qui me rongent la tête, alors que je vomis ma haine dans une poubelle.
Voilà la scène, un pauvre humain perdu au fond d'une cave sur un canapé défoncé, gerbant sa cuite carabinée. Et ceci est mon quotidien, la joie cédant la place à l'horreur, le jour à la nuit, les cieux à l'enfer. Une saison dans les bas fonds de mon âme, dans les détours tortueux de mes hallucinations. Mes rêves les plus fous deviennent l'espace d'un instant réel alors que je sombre dans une transe comateuse, pris entre la réalité et le rêve. Le bonheur impossible semble palpable et je la vois devant moi, souriante. Je peux la toucher, la sentir, l'embrasser, et je me réfugie dans ses bras, pauvre petit garçon effrayé par le noir et par ses cauchemars. Et ce monde maudit me semble lointain, alors que je pleure contre son épaule, la sentant près de moi, retrouvant mon unique raison de vivre.
Mais tout explose, elle disparaît et je me relève, seul de nouveau dans cette cave sordide, éclairé par les néons qui transpercent mes paupières. J'ai mal au bide, et vomis de nouveau. Il n'y a rien à dire, je ne ressemble à rien. Ma douleur putride éclate de nouveau, et je sors de ces vapeurs enfumés pour aller me réfugier dehors alors que le déluge s'effondre et s'écrase sur la ville, battant l'air d'un vent glacé qui me fouette le visage et glace les larmes qui coulent le long de mes joues. Une autre gorgée pour me tenir chaud, et me voilà déambulant dans la ville déserte rue après rue, dans un brouillard nauséabond. Et je vois un fire exit qui longe un immeuble abandonné, et je grimpe les vieilles marches rouillées, montant vers l’œil de l'orage. Arrivé sur ce toit délabré je me laisse sombrer par terre, tombant dans une flaque de rouille. A la déche, seul sur le toit de monde, vautré dans cette eau sale, je pleure. Faut-il qu'elle revienne hanter mes rêves après toutes ces années ? Je revois son sourire qui me nargue, et une fois de plus tout se brise, tout éclate. Je cherches une cigarette au fond de mes poches trouées et l'allume, une bouffée pour le salut de l'Humanité, une autre pour celui de ma vie. Le tabac me fait tousser, ricoché de mes glaires entre les parois de ma gorge. Une sorte de fièvre somatique me serre le crâne, et mon ventre pourri encore et toujours. Je me relève et me pose le long d'un mur, genoux repliés contre mon visage livide, aussi pâle que celui d'un ange damné dont les ailes ont brûlées il y a bien longtemps. Je griffonne des mots difformes sur mon cahier, encre noire pour sang pourpre, à la recherche d'une thérapie salvatrice. Mais je ne trouve aucun mot, aucune lueur ne surgit, ne reste que l'obscurité et mon pauvre squelette agonisant. Peinture dégoulinante d'un junkie abandonné au centre de ses propres ténèbres.
Ma bouteille est maintenant aux trois-quarts vides, et je bois le reste d'une seule traite, advienne que pourra, Dieu seul le sait. Je me lèves et fixe les nuages invisibles pleurant sur le monde, dessinant son visage entre les gouttes de pluies. Et je m'avances, marchant lentement, jusqu'au bord du toit, et regarde la ville déchirée. Le chaos qui m'envahit me donne envie de plonger la tête en avant dans l'abîme, je revis d'anciens cauchemars, et je revois cette fenêtre béante, et cette lame ensanglantée dans ma main tremblante. Je reste là immobile sur ce rebord écaillé, véritable démon de la nuit, à laisser errer mon regard vers le lointain. Je fume une autre cigarette à sa santé, la mienne étant condamnée, rongée par ce cancer fiévreux. Je vacille lentement comme un vieux chêne battu par le vent. Ma main tremble, secousse nerveuse d'un virus fou. Je murmure son nom, emporté par le rugissement diluvien. Un pauvre je t'aime disparaît ainsi dans les cavités de ma bouche. Le passé est mort, enterré dans ma fosse commune au milieu des autres cadavres d'un temps révolu. Au loin pointe le jour, et tout devient gris, sale, et je tombe de fatigue. Alors je refais le chemin de mon errance défoncée, parcourant de nouveaux les rues silencieuses, alors que les maisons s'allument et que se réveille la vie. Je regagne ma cave et mon canapé et me couche, blotti au fond de ce drap troué.
J'ai froid, je tremble, ferme mes yeux lourds, calcinés, aveugles et m'endors.
à 17:21