Le livre était depuis longtemps dans ma bibliothèque. Sans doute que celui qui me l’avait offert, garçon dont je me souviens très bien, n’avait pas lu plus loin que le titre lorsqu’il choisit dans une libraire ce livre pour me l’offrir. Ainsi m’offrait-il « Histoire d’amour », œuvre d’un Régis Jauffret dont je n’avais jusque là jamais entendu parler. Après avoir lu le dos du livre, je demanda à mon ami s’il avait fait attention à ce qui était écrit en quatrième de couverture. Il me dit que non, qu’il avait fait son choix sur le titre. Je m’abstins de lui faire remarquer que l’on n’achetait pas des livres ainsi.
« J’ai été réveillé par l’irruption de deux inspecteurs de police dans le chambre. Elle était là, elle remontait le rideau roulant. Dehors il faisait jour, j’avais dormi d’un trait. Ils m’ont sommé de m’habiller et de les suivre.
_ Pourquoi ?
Ils m’ont jeté mes vêtements à la tête.
_ Dépêchez-vous.
Quand j’ai été vêtu ils m’ont passé les menottes. Je me suis dit que je ne savais pas son prénom. En sortant de l’appartement, j’ai vu son nom sur la sonnette, elle s’appelait Sophie Galot.
Au commissariat, ils m’ont expliqué qu’elle avait porté plainte contre moi pour viol. »
Voilà pour la quatrième de couverture. On comprendra que je ne lis pas le livre à l’époque. Il était un peu l’erreur de la bibliothèque. Le livre arrivé là par ignorance. Il me fallut que Régis Jauffret sorte « Univers, univers », livre dont on parle pas mal aujourd’hui, pour dépasser la lecture de cette quatrième de couverture.
L’histoire commence normalement. Un homme, professeur d’Anglais dans un lycée, croise un matin dans un métro une jeune femme qu’il trouve très charnelle, sa poitrine (grosse, ferme) lui donne immédiatement l’envie de ne pas la perdre. Sous son pull son ventre semble « plat, élastique », se terminant en bas par « une pilosité abondante ». Il imagine déjà son sexe « chaud, sec, collé aux sous-vêtements ». Il lui semble qu’elle sera sa femme, qu’il partagera avec elle son quotidien, la douceur d’un foyer tel qu’il se l’imagine, tel qu’il en rêve, tel que lui le désir. Le désir du personnage est son moteur. En de trop rare instant il aborde une certaine réflexion objective sur son comportement, mais il ne va jamais jusqu’à reconnaître ce qu’il est, les erreurs de ses jugements et de ses actions. Il préfère repartir dans ses songes, supposer, prévoir ce qu’il va vivre comme instants magiques et de paix avec cette jeune fille. Lorsqu’il ne veut pas aller jusqu’à regarder la réalité en face, il s’enfuit dans ses songes, des songes à base de stéréotypes.
Elle est sa femme. Il le sait. Il l’a décidé. Au lieu d’aller lui parler dans la rue, il la suit toute la journée. Au lieu de lui parler au bas de son immeuble à elle, il la suit dans les escaliers. Lorsque, prête à entrer chez elle, elle le remarque enfin, il est trop tard pour elle, trop tard pour lui. Malgré ses efforts à lui pour paraître correct, elle le considère comme un violeur, cela est inacceptable pour lui, plutôt que de s’en aller il la force à l’écouter, à la laisser entrer, à ouvrir ses cuisses, pour qu’elle sente bien à quel point il l’aime, à quel point il la désir comme femme et mère de leur enfant.
Envoyé en prison pour deux mois, il en ressort plus que jamais déterminé à faire comprendre à Sophie son erreur. Il veut qu’elle reconnaisse qu’il n’est pas un violeur, qu’elle peut parfaitement l’aimer, d’ailleurs elle s’habituera à sa présence considère-t-il. Il lui deviendra indispensable, elle aime déjà son corps à lui croit-il, pour cela il la viole souvent pour qu’elle s’habitue à lui et qu’elle l’aime, persuadé qu’elle finira par voir qu’il est un homme charmant, amusant, intelligent. Malgré la bêtise et la crasse intellectuelle qu’il imagine dans le cerveau de cette jeune fille qu’il considère comme une race inférieure, et qu’il va traquer indéfiniment dans la cité de banlieue où elle vit, attendant de pouvoir entrer chez elle. Il est amoureux, cela justifie tout à son sens. Elle est bête donc elle ne voit pas qu’il est fait pour elle, il passera le temps qu’il faudra pour qu’elle finisse par l’accepter, et vivre cette histoire d’amour qu’il a décidé.
Le plus effrayant dans cette histoire racontée à la première personne, est la rhétorique qu’utilise le personnage masculin pour justifier son comportement. Il réussirait presque parfois à nous faire croire qu’il est en effet agréable, et que ce ne sont que les circonstances qui le rendent ainsi. Que c’est de la faute de cette jeune fille trop détruite si elle continue à se faire violer. Elle ne peut plus lui parler, tour à tour elle a peur, elle est résignée, telle une bête traquée ? Il lui reproche de ne pas savoir lui dire, de ne pas vouloir prononcer les phrases qui la laisseront tranquille. Elle s’oppose à lui ? Il la viole pour lui démontrer qu’il est fou de désir pour elle et ses gros seins.
Régis Jauffret ne nous offre pas un monstre de plateau télé, un personnage déjà si facile à haïr tels ces violeurs déjà monstres dès qu’ils apparaissent à la télé. Jauffret nous présente la face du sadique aimable. Ce sadique parfois lassée de sa proie, qui va ailleurs si bien se faire aimer des femmes, et plus tard revient fou d’envie pour la seule qui lui a résisté. La seule qu’il peut aimer, considère-t-il. Sans doute car elle est la seule qui lui ai renvoyé cette image si négative de lui (de violeur), cette femme à qui il préfèrera détruire à petit feu la vie et l’identité, plutôt que d’accepter qu’il a pu mal agir. Alors il l’invite au restaurant, s’excuse, la force à le suivre, à manger en face de lui, lui force à reconnaître qu’elle s’est trompé, et la force à de nouveaux rapports pour qu’elle se rende compte qu’il fait très bien cela, qu’elle aime cela depuis la première, qu’il n’est par conséquent pas un violeur, mais un être uniquement animé de bonnes intentions.
Un livre donc qui démonte un mécanisme. Le présente. Chez Jauffret l’écriture est un lieu de « lucidité ». Un livre à lire comme une promenade douce et sadique. Instructive. Bouleversante, mais jamais déplaisante. Jauffret ne prend pas ce parti si souvent exploité, et un peu facile, de traumatiser son lecteur (ou sa lectrice). Un livre sur un sujet grave, mais qui peut se lire sans crainte.
En livre de poche, chez Folio, 4.50 euros.
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