Elle regardait mon visage, elle tentait sans doute d’y trouver quelque chose. Ce que peut chercher une fille dans un pareil instant je suppose. Elle n’était pas la première à tenter cela, pour la circonstance je prenais cet air appliqué qui peut parfois si bien l’agacer, en somme je ne faisais ni plus ni moins que masquer, je donnais la répartie, celle de l’homme qui veut contenter la femme, combien font cela me suis-je toujours demandé, combien sont comme moi, je ne peux pas être le seul à rêver d’autre chose, la Terre doit bien contenir d’autres individus qui n’aime pas cette positon d’homme, préféreraient se promener dans la rue une clope au bec, plutôt que devoir « honorer ». Devant son regard toujours aussi perçant, je me suis arrêté. J’ai tendu le bras pour éteindre la lumière. Mon âme s’est sentie davantage en sécurité, mieux protégée de son inquisition. La baïonnette en avant, comme elle le désirait, j’ai continué, en soupirant, en feignant le plaisir, en imitant les caresses de désir sur sa poitrine qu’elle tendait vers le plafond gras de la chambre. Je pensais à la maison de campagne de mon arrière grand-mère. J’ignore pourquoi cette image rassurante revient si souvent durant l’acte. Le bois crépite dans la cheminée, j’entre dans le salon, le reste de la maison est glacial sauf cette pièce où règne la chaleur. Je vois le vieux tapis rouge marqué d’innombrables brûlures, je vais aller m’allonger dessus, me réchauffer et m’endormir.
Elle me garde contre elle. En elle. C’est le meilleur moment. Ma mission est remplie. Elle a l’air satisfaite. Heureuse. Comme toujours elle m’informe, comme la présentatrice du bulletin météo. Elle a jouis. J’ignore ce que cela veut dire. Mais je suis content pour elle. Ainsi que pour moi. C’est fini.
Elle se rhabille, fait durer le temps, semble l’arrêter, pour que je la contemple en train de se vêtir sans doute, de passer son soutien gorge, recouvrir ses seins, déguiser sa touffe jaune dans un petit habit noir proche de la peau. Un tel tableau me satisfait, me rend presque heureux, même s’il n’efface pas ce qui a précédé, cet instant d’immense solitude au dessus du vide.
Il n’y a pas de moment où je me sente plus anormal. Me sentir gâché est le terme que j’emploierais. Pourtant il n’y a jamais rien eu qui puisse dans ma vie justifier mon comportement, cet ennui profond que m’inspire la sexualité. Le jeu amoureux, celui des regards, de la séduction est le seul qui ai toutes mes faveurs. J’aime ces instants de silence. Même si j’ai une tendance à vouloir couvrir ma vie de mot tant elle peut m’effrayer parfois. Il me semble vivre en tutoyant une angoisse proche de celle qu’ont très certainement connu nos lointains ancêtres, la crainte des animaux sauvages, la crainte de l’orage, la crainte de mourir demain ou durant la nuit. Je crois que c’est pour cela que j’ai autant de mal à m’endormir le soir.
Je me sens égoïste car je m’écoute, car je contemple ce qui est au fond de moi, en fait mon sujet d’étude principal. Pourtant je n’ai pas le sentiment qu’il y ai beaucoup d’autres choses à découvrir. Il existe des personnes qui disent si bien qu’il ne faut pas vivre avec des soucis, qu’il est mauvais de se prendre la tête. Mais dès que j’arrête je perds pied, je m’ennuie nuit et jour. Inlassablement je suis une personne qui mourra le jour où je n’aurai plus rien à chercher. A l’université ont m’a appris à chercher plus efficacement, on m’a donné de nouveaux outils, chaque jour je les améliore. Je suis un chercheur, cela frôle l’excès. Si j’écoutais ceux qui m’entourent et à qui j’ai fait l’erreur d’en parler, j’ai largement dépassé les limites du raisonnable.
Mon caleçon a atterri derrière la commode. Elle a une façon presque barbare d’entrer dans l’acte sexuel, mais elle est normale. Celles que j’ai connues avant elle ne lançaient pas forcément les vêtements, certaines même les pliaient. Allant quelques fois jusqu’à les poser ensuite sur une chaise. Mais elle n’est pas différente. Même si chaque histoire ne ressemble pas à la précédente, ni à aucune autre.
Sans grâce je passe mes jambes dedans. Puis je mets mon polo. La fenêtre ouverte j’allume une cigarette. Si je n’arrive pas à arrêter de fumer, c’est que je ne connais pas de meilleur moment. Un peu comme si tout ce qui venait de se passer avant n’était qu’un travail préparatoire, et nécessaire, pour apprécier cet instant magique où la fumée pénètre à l’intérieur de mes poumons. « Tu devrais plus souvent mettre les boxers que je t’ai offert » murmure-t-elle en s’approchant, me caressant les fesses. Elle allume aussi. Elle recrache des volutes désordonnées. M’embrasse. Je me sens moins tendre après l’acte. Je me sens étranger. Mon corps réagi comme s’il ne la connaissait pas. Comme s’il voulait la voir disparaître. Effacer ce qui s’est passé. Je n’aime pas ce terme de « boxer ». Je n’aime pas l’objet non plus. Il faut aimer ses couilles pour aimer porter un boxer me semble-t-il. Or je ne vois qu’un truc fripé. Poilu. Ressemblant de loin à un vieux truc sale, une crotte blanche et poilu. Ce n’est pas un peu d’emballage qui puisse y changer quelque chose. Je ne crois pas que même la mort soit plus laide. Elle, bien sûr, n’est pas de cet avis. Inutile de lui demander pour le savoir.
Il me semble ne pas aimer la partie animale qui a subsisté en l’homme. J’ai un dégoût profond par exemple pour ces fêtes où la règle est de tout oublier, dans une sorte de démarche régressive. L’idée de jouir m’est insupportable, d’une certaine manière je me demande si je ne fais pas tout pour gâcher toutes les occasions où cela pour surgir. Il n’y a que dans la contemplation, dans l’eau, le soleil, le vent et le sommeil que je me sente bien. Elle n’a jamais compris que j’ai installé un ventilateur dans le salon. Que je le fasse tourner en toute saison. Elle ne voit pas la nécessite de « brasser l’air ». Elle trouve tout un tas de choses étouffantes. Mais beaucoup moins que moi.
à 16:53