On s'envolera... Mais quand?
La mer brillait. Quand on aime la mer, quand on est en vacance pour longtemps, que le ciel est bleu, magnifique, qu’un soleil immense tape sur les oreilles de tout le monde, sur les épaules, dans le cou, derrière les genoux, on trouve toujours que la mer brille. Au loin elle brille. Là elle brillait, lisse, fluide, calme, paisible entre cet espace de dune et de plage où je me trouvais, et l’île, là-bas, en face, posé sur les flots. Autrefois dès que j’étais sur une plage et que, par delà l’océan je voyais des terres en face de moi, je pensais à Christophe Colomb. Je demandais : « C’est l’Amérique ? ». Enfant je n’imaginais pas mon avenir autre part qu’en Amérique, il me paressait logique d’y aller. Comme Christophe Colomb. Puis j’ai grandi, je me suis mis à lire le journal, à débattre, à rêver. Je ne rêvais plus parce que j’étais un enfant, mais je rêvais parce que cela était nécessaire pour ne pas étouffer, nécessaire pour écrire de la poésie. Mettre sa vie en musique.
J’ai cessé de regarder en face, j’ai appris que c’était l’île de Ré, j’y suis même allé. Et ce n’était pas l’Amérique. Un jour j’ai cessé de scruter au loin, j’avais déjà lu tout Stevenson. Je me suis mis à regarder plus près, mon regard s’est arrêté sur la plage.
J’ai vingt ans. Le trésor je le cherche autour de moi. Dans les yeux d’une fille. Avec plus ou moins de succès. Avec plus ou moins l’esprit de l’aventurier. Il m’arrive parfois de me dire que c’est beaucoup d’efforts pour pas grand-chose. Beaucoup de bruit pour rien. Mais il ne reste plus beaucoup de territoire vierge de toute découverte sur notre planète. Les voyages sont devenus intérieurs. L’explorateur des temps moderne ne parcours plus les continents, mais le corps des femmes. Avec toutefois beaucoup moins de chance d’en percer un jour le mystère.
La réflexion me pèse. Il me semble temps de débrancher mon cerveau pour quelques instants, il commence à rouler dans la semoule. Ce n’est pas brillant. Vraiment, heureusement que personne ne peut lire dedans. Je laisse Sylvain continuer à parler. A chercher autour de nous une belle demoiselle désirant se faire rencontrer, encline à voir l’un de nous deux venir vers elle. Je prends le walkman de Lolita dans son sac, minutieusement, pour ne pas y mettre du sable. Pour ne pas la réveiller. Noémie dort aussi, tandis que son dos rougit, qu’un léger souffle de vent nous rafraîchit un peu, m’aide à respirer un coup. Mais pas longtemps. Je m’allume une clope en ouvrant Trainspotting d’Irving Welsh. Une telle descente en enfer que je me demande pourquoi je continue à le lire. J’en sers mes petits poings au bout de mes mains, c’est comme avoir une pierre qui grossit à la place du cœur. Plus que quinze page et ce sera fini. Et je serai déçu d’avoir déjà terminé. J’allume une autre clope. Je fume depuis six mois. Je ne sais pas encore pourquoi. Je ne le serais sans doute jamais. Pourtant il m’est déjà impossible de pouvoir m’en priver. Je tire. Elle fume. Je recrache. Je ravale. Les oreilles rempli de Nirvana. Je referme le livre. Il est achevé. Je le range. Change de cassette. Au fond du sac de Lolita je trouve Louise Attaque, ça me convient. Je m’allonge. Ferme les yeux. Je ne songe pas à m’endormir. Je tente juste de libérer mon cerveau, rendre mon âme plus légère, retirer les chaînes dans lesquelles je l’ai enserrée. Un boulot de dingue.
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