J’ai une passion pour les papiers. Je les garde presque tous sauf de rares exceptions. Dans diverses étagères de mon ancienne chambre chez mes parents, des piles de papiers dormaient. D’autres écrits passaient pour leur part leurs vieux jours dans des cartons, des classeurs archives, ou des bacs en plastique. Parler de rangement serait un grand mot tant cette « organisation » en était opposée. Au mieux pouvais-je savoir que telle pile, où se trouvaient les cours de telle année de fac, contenait des textes que j’avais écrits à cette période. Il m’est ainsi arrivé de chercher de longues heures un texte qui me tenait à cœur, que je voulais relire, ou taper à l’ordinateur, mais sans réussir à mettre la main dessus. Parmi ceux-là, un a longtemps fait l’objet de ma traque. Un texte de 70 pages.
Il avait pour moi une valeur importante, pour la simple raison que j’avais mis dedans les mois qui avaient précédés ma rencontre avec Jessica. Le début d’un roman. Un roman que j’ai tapé, relié, et soumis à des éditeurs, en ayant toujours en tête le regret d’avoir perdu le début de mon histoire. Pour palier cette défaillance, en dix pages j’avais brodé pour insérer un début. En remettant la main sur ces pages, ma joie fut donc immense, j’ai relu tout cela d’une traite, assis par terre, complètement abasourdi, avec le sentiment de lire la vie d’un autre. Certes tout était un peu romancé, il ne s’agit pas d’un journal, mais en dévorant ces pages le plaisir et le jeu n’en a été que plus grand. Les faits sont parfois transformé, mais les que j’ai mis dans mon texte sont quant à elles bien vraies. A chercher ces pages, j’avais fini par croire que je les avait jeté, comme je le faisais avant dès que quelque chose me déplaisait, me fatiguait, ou m’énervait. J’étais persuadé qu’effacer le passé était le meilleur moyen d’avancer, du moins en ce qui concerne l’écriture.
Elles sont donc là mes pages. De retour. Je les ai soigneusement percées pour les ranger dans le classeur des brouillons de mon premier roman. Elles sont désormais au début, de retour à leur place.
Il y a peu de chance que je n’aille pas les relire très bientôt. Je ne les avais jamais lu avant, tout ce que j’avais fait fut de les écrire, puis les faire disparaître. En réalité aujourd’hui en les tournant, je suis heureux de retrouver ce style que j’avais à l’époque, mordant, sans virgule, nerveux, composé de phrases courtes, d’images dans tous les sens. Je ne me préoccupais alors que du plaisir que je ressentais, je ne songeais même pas à me faire lire, il en était d’ailleurs hors de question, j’adorais maltraiter la langue, la tordre pour en faire mon objet à moi, autant qu’aujourd’hui je joue d’elle. Mais trop sagement. Le constat est dur. Je ne compare pas avec mon journal bien sûr, avec le temps, depuis que je l’ai ouvert, je trouve que mes phrase sont devenus de plus en plus directes, je fais des constats sur ma vie, en rend compte, essaie d’en tirer des réflexions, mais là encore le style, le nerf, l’âme semble être partie, sacrifiée sur l’autel de la compréhension. D’une certaine manière mon journal vire au journalisme… Mes autres textes pour leur part, tout en me satisfaisant parfois, connaissent un style plus conventionnel. Moins abrupte, il sert une histoire, alors que dans ces soixante-dix pages, comme dans mes premiers écrits, l’histoire n’avait aucune importance, je mettais à la suite des anecdotes, des faits, en cherchant à les rendre plus beau, ou plus laids, par mon écriture. J’étais moins conscient je crois.
En retrouvant ces soixante-dix pages, c’est une partie de ma vie, celle d’avant Jessica, que je retrouve. Ironie du sort, au moment même où celle-ci ressurgit dans ma vie. Comment ne pas songer que ce style là, cette histoire là, sont des fantômes qui ressurgissent. Ils ne me font pas peur, ils me réjouissent. Mais cela me laisse avec un bon nombre de question sur les bras. Dans un sens c’est un bonheur de plus d’arraché, un grand vent d’air frais… Je n’aime pas ce qui ronronne trop. J’ai l’impression d’avoir rouvert une fenêtre.
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