Il est tel un piano, en plus petit, bleu, métallisé, en brut de pastique, ce n’est pas un piano, il prend beaucoup moins de place, pourtant il est bourré lui aussi de touche, de tous les formats, avec imprimé dessus tout un tas de signes allant de la lettre à d’obscures symboles. Avant je préférais le papier. Mais le destin l’a mis devant moi une nouvelle fois.
Autrefois, j’avais huit ans, j’étais un enfant MO5, je programmais, je concevais des jeux à mon club d’informatique, on en a sorti des jeux, des bagnoles roulant sur des cailloux en plein désert, des serpents mangeurs de champignons, des bonhommes faisant du sport pour aller plus loin et plus fort. Je me rêvais informaticien, concepteur de jeux exactement. Il y a de cela presque vingt ans si j’y pense. Mais la machine, bien qu’ingénieuse était déjà condamnée… Thomson mit fin à son aventure informatique. De rage, face à des copains équipés des premiers PC, je me désintéressais de cette machine de bouffon. J’allais préférer les livres, les « J’aime lire », les « Je bouquine », les livres de l’école des loisirs… Mes copains s’enthousiasmaient devant leur premier écran, les fameuses disquettes à la place des cassettes pour ordinateur. On appelait ces machines Amiga, CPC 6128, PC 1512… Chez moi, c’était toujours MO5, il avait remplacé le ZX81 de Sinclair. En ex fan d’informatique, je tournais la page pour longtemps. Pas d’argent sans doute chez moi pour ces appareils. Mon père avait pourtant conçu les premiers logiciels de mathématiques, de conjugaison et d’orthographe (!) utilisés par l’éducation nationale. Dans le fond d’un placard, un laser 200 rutilant a même longtemps fait le malin dans son emballage, un truc qu’on nous avait refilé pour mettre au point des logiciels éducatifs encore une fois. Il n’avait pas servi longtemps, juste le temps d’une commande. Moi, j’étais le testeur des ces jeux pour enfants consistants en gros à la dictée magique.
Il n’arriva que plus tard chez nous. Le premier PC. Une belle lignée devait lui succéder. Des machines toujours plus performantes. Sans trop d’intérêt pour moi en réalité. La programmation, comme le reste, c’était devenu de l’histoire ancienne, ce n’était plus les années 1985 où je me rêvais en informaticien. J’étais passé à l’ordinateur outils. L’outil où je me suis mis à retaper mes premiers textes pour les sortir tout beau, tout propres de l’imprimante. Alors, j’écrivais encore tout dans des cahiers, et je retapais de temps à autre.
Aujourd’hui, l’histoire a changé. Plus de papier. Plus de stylo. Directement sur le clavier, plus rapidement qu’à l’encre, je tape, je tape, en rythme sur la musique, en cadence, j’enfile les mots les uns après les autres comme on enfile des perle pour constituer un collier. J’aime lorsque le soir il n’y a plus aucun bruit, que j’ai coupé la musique, que je suis, comme un pianiste, face à l’écran que je ne quitte pas des yeux, et que je tape et retape encore. Parfois, je me sens comme un virtuose, même, cela arrive, lorsque je me relie ensuite, j’aime ce que mes doigts ont mis juste devant moi. La magie du bel outil ordinateur. Il ne reste alors plus qu’à imprimer, ou à mettre en ligne sur le site. Demain matin, un inconnu à l’autre bout de la France lira, peut-être, ma partition, et sourira en se mettant au travail. Le monde change et moi avec.
Retour sommaire